Le bobard du jour : le Français travaille moins que l'Allemand, dixit Rexecode

L'info a eu une place de choix dans les journaux du matin : en termes de temps de travail, les Français sont dans la queue du peloton. Une étude du cabinet COE-Rexecode, proche du Medef, a ainsi été longuement relayée alors qu'elle comporte de nombreuses incohérences.

 
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(photo : Robbert Van der Steeg - Flickr - cc)
 
Il y a des infos comme ça qui ont le chic pour squatter les antennes dès potron minet et saturer les média avant treize heures. Celle de ce jour, issue d’une étude de Rexecode, le cabinet d’étude économique proche du Medef, expliquant en gros que les Français sont des fainéants, avait tout pour devenir le pitsch du jour. D'abord dans les Échos : 
 
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La une des Échos du 12 janvier 2012

« Une étude qui va faire beaucoup de bruit », sur la chronique éco de RTL. Des centaines d’articles selon Google news. Sauf que l’étude en question comporte de nombreux biais. Et qu’il se pourrait bien que si les conclusions pourraient être vraies, la démonstration, elle, souffre d’un sérieux problème de méthodologie……que Marianne décortique ici. 

Le sujet est sensible. Il déchire droite et gauche, la première accusant la seconde d’avoir plombé la compétitivité du pays avec les 35 heures. D'ailleurs, dans une semaine s’ouvre le sommet social qui devrait comporter à son menu la question du temps de travail. Que dit l’étude inédite ? Que les statistiques ordinairement utilisées décrivent mal la réalité. Congés, absence, 35 heures, en réalité la durée effective au travail d’un salarié à temps complet ne serait en France que de 1 679 heures, contre 1 904 heures en Allemagne. Dans le classement effectué, la France arrive en avant dernière position juste devant la Finlande. Le constat est impitoyable, la France est un pays de « sacrés branleurs »…. 

En bons économistes, les experts de COE-Rexecode fournissent la méthodologie de leur travail. Ils ont pris comme base la durée apparente de temps de travail telle que la fournit Eurostat, l’Insee européen. Et comme ce volume horaire n’est établi que sur la base des personnes effectivement en poste, ne comptabilisant pas celles qui sont absentes pour d’autres motifs (ce qu’explicitement la note de COE-Rexecode désignent comme congés en général et absentéisme, arrêts maladie ou RTT en France), l’institut a retraité ces données. Et obtenu ces fameux résultats… À gauche, on a bien compris le danger, et la cellule riposte des hollandais s’est activée : « La méthodologie est très spéciale » puisque « on ne parle pas du travail à temps partiel catégorie dans laquelle la durée du travail en Allemagne est beaucoup plus faible qu'en France », a immédiatement rétorqué Pierre Moscovici, le directeur de campagne de François Hollande

Avant de contacter Rexecode, nous sommes allés sur Eurostat dénicher la base de données. Pour travailler, nous nous sommes cantonnés qu’aux seuls cas Français et Allemand. Que nous dit cette base ? En 2010, la durée hebdomadaire pour un temps complet (données qui sont à la base de l’étude de Rexecode) était respectivement de 40,7 heures en Allemagne, et de 39,5 heures en France. Répliquant la méthodologie de l’institut nous avons multiplié par 52 (nombre de semaines dans l’année) pour obtenir le volume horaire affiché dans chacun des pays. 

Notre démarche

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Résultat : 2 116 heures en Allemagne contre 2 054 en France. Ce sont ces chiffres qui ont été redressés par COE-Rexecode pour obtenir le temps de travail implicite, soit 1 904 heures en Allemagne et 1 679 heures en France. Première surprise, à en croire l’institut, la différence, soit 375 heures en France (volume cohérent avec les chiffres de l’Insee) est presque le double des 212 heures allemandes. Ce sont ces heures qui correspondent à ces fameux congés, absences et autres RTT. Mais aussi, motifs non soulignés par COE-Rexecode, à de la formation professionnelle ou à des congés maternité, voire des absence pour deuil, déménagement, etc.

Ramenons ces heures à la durée hebdomadaire de travail dans chacun des pays.

Résultats :

Allemagne 212/40,7 = 5 semaines et un jour, ou 26 jours;

France 375/39,5 = 9 semaines et demie , soit 47,5 jours.

Chez COE-Rexecode, l'embarras

Sauf que Marianne a voulu aller un peu plus loin. Muni de ces résultats, nous avons contacté Gilles Koléda, en charge de l’étude du COE-Rexecode qui a polarisé l’actualité du jour. Et refait pas à pas ces calculs jusqu’à obtenir ces 212 heures d’absences en moyenne des salariés allemands, soit 5 semaines et un jour. Rien de problématique jusque-là pour notre expert de chez Rexecode. Jusqu’à ce que la question simple lui soit posée : « 26 jours, cela ressemble quand même au volume ordinaire de congés des salariés outre-Rhin ? Ce qui suggérerait que le travailleur allemand n’est jamais malade ?» Notre interlocuteur est visiblement embarrassé : « je ne connais pas le volume de congés payés en Allemagne ». Et il est vrai qu'à Marianne non plus. Mais, de fait, l’étude commence à prendre l’eau…. 


Heureusement (et malheureusement pour Rexecode), le cabinet Mercer a fait ce travail  … Selon cet institut, entre les congés payés et les jours fériés, la France compte 36 jours chômés, et seulement 29 pour  l’Allemagne. Rapportés en terme de semaines, cela donne 7 semaines et un jour de travail en France, soit sur la base de 39,5 heures hebdomadaire 284,4 heures. Appliquons le même raisonnement pour notre voisin : 29 jours, 6 semaines moins un jour, soit à raison de 40,7 heures hebdomadaires, un volume de  236 heures.


Conclusions

Elles sont d'une simplicité biblique :

Premièrement : les calculs de COE-Rexecode qui permettent de passer d’un volume horaire annuel de travail calculé sur la base d’une semaine type travaillée et appliquée sur 52 semaines à un volume effectivement réalisé donnent des résultats incohérents pour l’Allemagne. En faisant passer le volume horaire de 2116 heures à 1904 heures, l’institut abouti a la conclusion qu’un salarié allemand est absent de son travail seulement 26 jours, soit 3 jours de moins que les jours officiellement chômés. Bref, non seulement le travailleur allemand redonnerait des jours à son employeur, mais il n’est jamais absent, jamais en formation, ni en congé maternité. Certes, dans les stéréotypes, l’Allemand est censé aimer son travail et faire peu d’enfant, mais tout de même...
 

Deuxièmement : pour la France la différence entre les 47,5 jours issus du calcul de COE-Rexecode et les 36 jours officiellement chômés (25 jours de congés payés et 11 fériés), laissent donc 11,5 jours pour les RTT et autres absences. 
 

Finalement, les 1 679 heures affichés par COE-Rexecode, ne sont pas une nouveauté. En 2007, l’Insee donnait un volume horaire de 1 680 heures en 2007, et 1 640 heures pour la Dares en 2009. On peut en revanche très sérieusement douter que nos voisins salariés travaillant à temps complet effectuent, comme le prétend COE-Rexecode, 1 904 heures.
Bref, on attend, dans les jours qui viennent, des explications de Rexecode, et un droit de suite dans la presse. Parions que ni l'un ni l'autre ne surviendront. La bête médiatique est amnésique....

Source : Marianne2.fr

 


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