MyFerryLink menacé de sombrer au large de Douvres

Ah ! La perfide Albion ! En fait, ils veulent privilégier une compagnie danoise au lieu des SeaFrance. Du reste, l'Angleterre, étant le pays du capitalisme triomphant, doit voir d'un mauvais œil que des employés reprennent l'activité de leur ancien patron et arrivent à la maintenir à flot...

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Ferry MyFerryLink

Récit L’autorité britannique de la concurrence veut interdire l’accès des navires de la compagnie au port anglais à cause de ses liens avec Eurotunnel.

Par STÉPHANIE MAURICE LILLE, de notre correspondante, YANN PHILIPPIN

Coup de tonnerre sur le port de Calais. L’autorité britannique de la concurrence a infligé, hier, une sanction massue à MyFerryLink : la Competition Commission (CC) a décidé que les ferrys de la compagnie française n’auront plus le droit d’accoster à Douvres. La peine ne sera exécutoire que dans quelques mois. Mais, si elle était confirmée, cela signerait l’arrêt de mort de MyFerryLink, né en août dernier sur les cendres de SeaFrance, et le licenciement de ses 610 salariés.

La CC a jugé que l’arrivée sur la mer d’Eurotunnel, qui détient déjà 40% du marché des liaisons transmanche, risque de le rendre hégémonique. Si MyFerryLink est une société coopérative appartenant à ses salariés (Scop), elle n’existe en effet que grâce au soutien de l’exploitant du tunnel sous la Manche. Celui-ci a racheté en juin 2012 les trois bateaux de l’ancienne SeaFrance, et les loue à la Scop. Eurotunnel et MyFerryLink promettent, la main sur le cœur, que leurs deux sociétés sont indépendantes. Mais ils n’ont pas convaincu la CC. C’est en effet Eurotunnel qui assume le risque financier, puisqu’il paie l’intégralité des traversées, quel que soit le taux de remplissage des navires. Le groupe a d’ailleurs prévu une enveloppe de 25 millions d’euros pour éponger les pertes de MyFerryLink jusqu’en 2014.

«Hypothèse». L’autorité britannique a estimé qu’en concurrençant le britannique P&O et le danois DFDS, MyFerryLink a créé des surcapacités et déclenché une guerre des prix. Du coup, la CC juge «probable» que DFDS, lassé de perdre de l’argent, jette l’éponge «à court terme», c’est-à-dire dès l’an prochain. Et qu’Eurotunnel en profite pour remonter ses prix.

L’opérateur a immédiatement décidé de faire appel de la décision, qu’il juge «incompréhensible et gravement disproportionnée». «Ça veut dire supprimer 600 emplois sur la base d’une hypothèse complètement virtuelle d’un retrait de DFDS», s’indigne-t-on au siège d’Eurotunnel. «Trois opérateurs, ce serait moins bien pour la concurrence que deux ? C’est une absurdité d’un économiste dans son bureau. Nous avons pourtant la même manière de compter que les Britanniques», ironise de son côté Raphaël Doutrebente, directeur général adjoint de MyFerry Link.

Côté français, on ajoute que le montage Eurotunnel-MyFerry Link a été approuvé par le tribunal de commerce de Paris en juin 2012, et par l’Autorité française de la concurrence. C’est dire le camouflet dispensé par son alter ego britannique. «Nous sommes troublés qu’une décision de justice en France soit ainsi remise en balance», s’étonne le cabinet de Frédéric Cuvillier, ministre des Transports et ancien maire de Boulogne-sur-Mer. Les Anglais n’accepteraient de revoir leur position qu’à condition qu’Eurotunnel se sépare de deux des trois navires. Mais c’est impossible : le tribunal de commerce de Paris a obligé le groupe à les garder au moins cinq ans, pour éviter qu’il n’engrange une plus-value facile en les revendant rapidement.

Eurotunnel et MyFerryLink sont bien décidés à se battre. «S’il le faut, plus un seul bateau ne rentrera dans le port de Calais, lâche Raphaël Doutrebente. Nous empêcherons le trafic. Nous sommes déterminés face à une autorité britannique qui se moque des emplois.» Dans un Calaisis à 17,1% de chômage en janvier, l’argument pèse lourd. MyFerryLink compte aujourd’hui 533 employés en France et 72 en Angleterre, principalement des ex-SeaFrance. Ils avaient été 880 à être licenciés en janvier 2012, suite à la liquidation de la compagnie. Olivier Thomas, chef cuisinier à bord du Rodin, a connu toutes ces péripéties. «On s’est quand même pris un petit coup de massue en apprenant cette décision. On a commencé le 20 août avec deux voitures et trois camions à bord, tout était à reconstruire, et neuf mois plus tard, nous avons du monde, du fret, du tourisme.»

collimateur. Après des débuts difficiles, MyFerryLink embarque en ce moment 1 130 camions par jour. Il a pris 9% du trafic fret et 6% du trafic passager. «Notre compagnie va bien, martèle Raphaël Doutrebente. Il faut croire que nous en gênons certains.» Dans son collimateur, DFDS, l’armateur danois associé au français Louis Dreyfus Armateurs, qui a tenté de racheter à bas prix les navires de SeaFrance, mais a perdu face à Eurotunnel. Jean-Claude Charlo, directeur général de DFDS France, assure «ne pas savoir» si son groupe est à l’origine de la procédure. Mais il assure que, suite à l’arrivée de MyFerryLink, «plus aucun opérateur ne gagne de l’argent». Et qu’il pourrait donc jeter l’éponge «d’ici 2014-2015», ce qui menacerait ses 250 salariés de la ligne Calais-Douvres, pour la plupart des ex-SeaFrance. Bref, seul le retrait du nouveau venu permettrait de rétablir «une concurrence libre et saine».

Chez Eurotunnel, on juge cet argument absurde, puisque P&O et DFDS sont bien plus gros. «Nous sommes le Petit Poucet, nous n’embêtons personne», renchérit le cuisinier de bord Olivier Thomas. Il croise les doigts, fait confiance à ses dirigeants, et compte sur les pouvoirs publics. Ce en quoi il a raison. «La France aidera MyFerryLink», indique-t-on au ministère des Transports. Eurotunnel saura bientôt si son appel est suspensif, ce qui permettrait à la compagnie de poursuivre son activité jusqu’à la décision finale de la justice britannique. En parallèle, elle va rechercher de nouveaux investisseurs. Ce qui permettrait de rendre caduque l’accusation de monopole portée contre Eurotunnel.

 

Source : Liberation.fr

Informations complémentaires :

Crashdebug.fr : SeaFrance : le gouvernement change de cap et donne leur chance aux salariés

 


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