Quand la France fait barrage à la taxe Tobin européenne...

Ce mardi 9 décembre, onze ministres des finances européens devaient s’accorder pour lancer une première phase d'une taxe sur les transactions financières au niveau européen. Mais la réunion a tourné court à cause des réticences de la France. Après avoir été un moteur, notre pays freine en effet des quatre fers pour empêcher que naisse une taxe trop ambitieuse. Comment disait-il déjà ? "Mon ami, c'est la finance ?"

Update 11.12.2014 : vous votez négativement cet article, mais où est localisé votre cerveau ? Franchement, j'ai de la peine pour vous...

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Yves Logghe/AP/SIPA

Avec le recul, François Hollande doit vraiment se mordre les doigts d’avoir lancé, un soir de janvier 2012, sous le regard de milliers de militants socialistes et sympathisants réunis au Bourget, « mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance ». Car à l’épreuve du temps, cette sentence perd chaque fois un peu plus en crédibilité.

Après une taxe sur les transactions financières (TTF) françaises décevante sur son ambition et son efficacité (un rendement de 600 millions d’euros à peine à cause d’une assiette de prélèvement réduite à une centaine de sociétés), la France, par la voix de Michel Sapin, vient de faire capoter les discussions sur une « taxe Tobin » d’ampleur européenne. Ce mardi, onze ministres des finances européens devaient en effet s’accorder sur une première phase d’une taxe européenne. Mais à cause des positions françaises, la réunion n'a abouti sur aucun accord…

Pourtant en 2011, France et Allemagne, main dans la main, imposaient l’idée de créer une taxe sur les transactions financières à l’échelle européenne, inspirée de la taxe « Tobin » imaginée dans les années 70 par l’économiste nobélisé James Tobin. L’idée étant de mettre en place un mécanisme capable d’empêcher une nouvelle crise financière du type de celle de 2008.

Un projet qui avait donné immédiatement des sueurs froides à la Grande-Bretagne. Pour protéger sa sacro-sainte City, celle-ci était montée au créneau. Les ambitions avaient dû être revues à la baisse même si, en mai dernier, Michel Sapin, revenant d’une rencontre avec ses homologues européens annonçait fièrement qu’« un pas décisif a été fait et nous allons arriver à un dispositif ambitieux » qui verrait le jour le 1er janvier 2016. Car le « dispositif » se révélait finalement très peu « ambitieux », réduit qu'il était à onze pays européens sur vingt-huit. Ce qui, à l’époque, faisait dire à Benoît Lallemand, membre de l'ONG Finance Watch, interviewé par Marianne, que l’opération relèvait plus « d’un exercice de communication qu’autre chose ».

A croire qu’après avoir était aux avant-postes pour l'imposer, la France souhaiterait presque jouer les boucliers anti-Tobin. Il suffit de regarder les différents crocs-en-jambe faits par notre pays à cette taxe...

Le premier coup est porté par Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, qui dès 2013 torpille la taxe Tobin européenne. Dans un entretien au Financial Times, il déclare que « le projet de la Commission n’est pas viable et doit être entièrement revu ». Le texte initial prévoyait de taxer les actions et les obligations à 0,1 % et les produits dérivés à 0,01 %. De quoi rapporter selon les estimations de l’époque entre 30 et 35 milliards d’euros par an. Une manne non négligeable en ces périodes de disette budgétaire. Mais pour le banquier en chef, mieux vallait une taxe indolore pour les financiers  « qui probablement ne rapportera pas grand-chose, mais éviterait des effets perturbateurs ». Pierre Moscovici, alors ministre de l’Economie, enfonce le clou en jugeant que le dispositif est « excessif ». Un comble, la Commission européenne, souvent jugée « trop libérale », porte le projet à bout de bras et se retrouve même à dépasser par sa gauche un ministre socialiste. Cherchez l’erreur…
 
Rebelote en novembre dernier. Alors que les onze pays européens doivent se retrouver autour de la table des négociations pour se mettre d’accord sur la taxe, Michel Sapin, le ministre des Finances, se fend d’une tribune publiée dans les Echos  qui détaille les contours d’une « taxe amputée » qui ponctionne les échanges d’actions certes, mais évite soigneusement de s’attaquer à l’ensemble des produits dérivés, ces instruments financiers à hauts risques qualifiés « d’armes de destruction massive » par le célèbre homme d’affaire Warren Buffet. Le ministre français ne veut viser que les « Crédit défaut Swap » (CDS), une catégorie de produits qui ne représenterait que 3 % des dérivés… 
 
Une proposition qui a eu le chic d’hérisser le poil des partenaires allemands, autrichiens, estoniens, portugais, slovaque,s etc… Tous dénoncent une taxe « au rabais ». Car ces pays voient dans ce dispositif un moyen de dégager des revenus non négligeables.
 
Ce mardi donc, les onze ministres européens n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Pis, selon Alix Zuinghedau de l’ONG Coalition plus, « les prochaines discussions ont été renvoyées au début de l’année 2015, mais sans fixer de date précise. Ce qui n’annonce rien de bon » se désole-t-elle. Elle met en cause directement le ministre des Finances et des comptes publics, « dans sa volonté de protéger les activités des banques françaises (très en pointe sur les marchés des dérivés, ndlr) » : « Michel Sapin a essayé de faire un passage en force sur une position minimaliste. Il prive la France de milliards d’euros ».

Les sociaux-démocrates allemands et autrichiens avaient pourtant annoncé la couleur dans une lettre envoyée à leurs partenaires européens, dont le journal les Echos a révélé des extraits : 
« Il est essentiel que tous les dérivés soient inclus car le trading international de dérivés a désormais atteint un volume d’environ douze fois le PIB mondial », 
prévenaient-ils fin novembre.

Pour les ONG, la France aurait cédé au « lobby financier ». Un thèse renforcée par les informations du site Mediapart qui indique que deux des négociateurs français sur la taxe européenne  viendraient d’être recrutés pas des banques….
 
Dans un communiqué, les associations AIDES, Coalition PLUS, Oxfam France et ATTAC en appellent à François Hollande pour « reprendre le dossier en main » et faire aboutir un accord qui « frapperait réellement la spéculation financière ». Avec le candidat François, ces associations auraient eu toutes les chances de se faire entendre. Avec le président Hollande…

 

Source : Marianne.net

 


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