« Looper », un coup de maître époustouflant

« Un coup de maître » peut-être pas, c’est pas 2001 quand même ; ), mais je confirme, c’est franchement excellent ; ) Enfin un bon moment à passer au cinéma en famille ou pas, ça faisait longtemps...

Amicalement,

L'Amourfou,

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Une série B d’anticipation où les personnages, qui voyagent dans le temps, sont à la fois victimes et tueurs.


Looper : 3 raisons de ne pas le louper par lesinrocks

Bien que situé en 2044, et nous plongeant d’emblée dans un univers SF où les meurtres ne s’opèrent plus que par l’entremise de voyages dans le temps, Looper commence comme un film noir hollywoodien des années 40.

Tout est là, conforme : la voix off du narrateur qui se présente et décrit son quotidien de tueur à gages forcément solitaire ; les arrière-salles de tripot où les gangsters préparent leurs méfaits ; même l’apparence vestimentaire du héros, interprété avec un soupçon de détachement adéquat par Joseph Gordon-Levitt, tient du total look Raymond Chandler : pantalons à pinces, chemise blanche, cravate parfaitement ajustée…

Mais justement, lorsque son patron, qui, lui, vient du futur, l’entretient sur son look, il ne mâche pas ses mots : “Vous vous habillez comme des gens d’autrefois, les films dont vous copiez les fringues sont déjà des copies de films plus anciens encore et vous ne le savez même pas.”

La vanne n’est pas seulement cinglante et drôle : elle indique aussi une des clés de ce film où le temps ne cesse de se replier, où on ne sait plus qui du présent ou du passé est une copie de l’autre, où plusieurs couches de l’histoire du cinéma remontent à la surface le temps d’un vertigineux palimpseste.

Le palimpseste, cette technique médiévale consistant à recycler un parchemin déjà écrit pour y appliquer des inscriptions nouvelles, est la figure maîtresse du film. Figure au sens le plus littéral du terme, puisque le visage de son interprète principal Joseph Gordon-Levitt a été retravaillé numériquement pour qu’y affleurent certains traits de son partenaire, Bruce Willis (le nez de JGL prend la courbure abrupte de celui d’un boxeur, ses lèvres sont affinées…). Car tous deux incarnent un même personnage ; le second a été expédié dans le passé pour être exécuté par le premier.

Mais le palimpseste, c’est aussi La Jetée de Chris Marker, autre histoire de meurtre enchevêtrée dans les boucles du temps, où un même homme était victime et témoin de son propre assassinat. Le film en retravaille les courbes jusqu’à y faire figurer son remake officiel, L’Armée des douze singes de Terry Gilliam, par la simple présence de son ancien héros Bruce Willis.

Dans ce complexe feuilleté, d’autres couches de récits se superposent : une poursuite dans les champs de maïs façon La Mort aux trousses, l’élimination par un tueur du futur d’innocents tous homonymes comme dans Terminator 2

Mais Looper n’est pas pour autant un exercice de style ludique, maniant les références sur le mode du clin d’œil. Au contraire, le film est totalement au premier degré, profond et souvent déchirant.

Chaque citation est coulée dans la matière du film et sert pleinement une dramaturgie où le souvenir joue un rôle obsédant. Les souvenirs prolifèrent, certains viennent même du futur (l’épouse morte de Bruce Willis). Il faut les fuir sinon ils vous détruisent.

En face, il y a les prémonitions. À deux reprises, un personnage dit voir la vie d’un enfant se dérouler devant ses yeux comme si tout était déjà tracé, qu’au trauma initial succédera implacablement une chaîne de catastrophes. Les prémonitions, il faut les déjouer. C’est cette double injonction qui entraîne les personnages de Looper dans leur course frénétique : s’échapper à la fois d’où ils viennent et d’où ils vont.

Les individus ne sont d’ailleurs pas les seuls à se débattre face à un destin mécaniquement programmé. Dans ses visions, ce sont aussi les grands équilibres géopolitiques du monde que le film déroule sous nos yeux et qui semblent tout aussi inéluctables : l’Amérique des années 40 (du XXIe siècle) s’apparente à un pays du tiers-monde, avec ses mendiants en haillons logés dans des autobus démantibulés ; le français est devenu une langue morte dont le héros, qui en fait l’apprentissage par goût personnel, n’aura aucun usage ; la Chine est désormais le seul chemin qu’emprunte le futur.

Dans sa réflexion sur la liberté et le déterminisme, le film pose des enjeux moraux d’une complexité affolante, à l’opposé du manichéisme qu’on associe souvent au cinéma américain de genre. Tous les héros censément positifs commettent un acte abject : l’un dénonce sans sourciller son ami pour sauver sa peau, l’autre tue un enfant, quant au plus frêle des personnages, qui appelle la protection de tous, il est débordé par des pouvoirs paranormaux dévastateurs. Les lignes du bien et du mal s’enchevêtrent dans un lacis tout aussi embrouillé que celui du temps.

Pour imposer des partis pris aussi peu conventionnels, une telle originalité dans le propos comme dans son exposition, il faut aujourd’hui, à Hollywood, une bonne dose d’assurance et de détermination.

L’auteur complet de cet exploit, son réalisateur et unique scénariste, s’appelle Rian Johnson. Ses deux premiers films, Brick (2005) et Une arnaque presque parfaite (2008), étaient passés inaperçus (mais on brûle de les découvrir). Il n’a pas 40 ans.

Après un tel coup de maître, un film aussi ramassé, dense, habité, on jurerait presque nous aussi apercevoir son futur se dérouler sous nos yeux : pour sûr, l’avenir du cinéma américain lui appartient.

 
 
 
Information complémentaire :
 
Salles de cinéma, critiques etc... Looper sur Allociné.com
 

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