L’Europe politique doit s’affirmer contre la dictature du marché, par Maurice Allais

Bonjour, le monde est en « pause » pour 48 h. Ce matin, force est de constater qu'à part sur nos PEL les choses se « tendent » un peu partout. Mais je ne vais pas souffler sur les braises, les médias le feront assez pour vous manipulez provoquer certaines réactions, cependant apparemment vous n’êtes pas dupes…

Ah, la communication et sa maîtrise encore et toujours…

Non, ce matin, on va modestement démarrer sur la suite des articles sur Maurice Allais, que distille savament Olivier Berruyer sur « les-crises.fr », car la critique c’est bien, mais il faut aussi être force de proposition, et le mieux pour cela c’est d’écouter l’analyse d’une personne qui s’est vraiment penchée sur le sujet en tant qu’économiste.

Update 20.10.2016 (vidéo de 15mn) : L'Union Européenne, une Dictature démasquée...

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Maurice Allais est nommé dans la promotion du Nouvel An 2010 de la Légion d'Honneur

Né en 1911, major de l’École polytechnique en 1933, disciple des économistes néo-classiques Léon Walras et Vilfredo Pareto, Maurice Allais est, à ce jour, le seul Français à avoir reçu en 1988 le Prix Nobel en sciences économiques.

    Dans ses recherches, il a su combiner l’analyse micro-économique à la réflexion macro-économique. Il favorisa aussi le rapprochement des sciences économiques avec les mathématiques et la statistique

    Le professeur Allais n’a jamais dédaigné le débat public. Il y participe volontiers en publiant des articles et des ouvrages. Favorable à l’Europe depuis très longtemps, il a accepté de répondre à nos questions. L’Esprit Européen le remercie vivement, même si certaines réponses ont suscité un débat au sein de la rédaction.

 Contrairement aux hommes politiques, le professeur Allais est réputé pour la sûreté de son jugement, sûreté qui n’a d’égale que sa franchise. Au terme de deux longues campagnes électorales en France qui n’ont donné que de l’écume, on reste pantois devant le silence assourdissant des divers candidats qui n’ont pas même abordé les thèmes évoqués ici. Ils sont pourtant essentiels pour notre avenir. Raison supplémentaire pour réfléchir aux réponses du professeur Allais qui tranchent sur les mornes débats politiciens…

 ***

L’Esprit Européen : Monsieur le Professeur, commençons, voulez-vous, par une question personnelle. Comment êtes-vous devenu un fédéraliste européen convaincu ?

 Maurice Allais : Pourquoi suis-je devenu un fédéraliste européen convaincu ? Comment se fait-il que dès 1947 j’ai participé au Congrès de Montreux de l’Union européenne des fédéralistes ? Je vois à cette conviction et à cet engagement trois raisons majeures.

La première c’est que mon père fait prisonnier au cours de la Première Guerre mondiale est mort en captivité en 1915 atteint du typhus, les Allemands ayant mis côte à côte les prisonniers français et les prisonniers russes atteints du typhus.

La seconde raison, c’est que la Première Guerre mondiale et la Seconde, conséquence directe de la Première, ont été des guerres suicidaires. Au début du XXe siècle les nations européennes et la civilisation qui était la leur avaient une situation prédominante dans le monde.

La Première Guerre mondiale a été motivée par des rivalités européennes internes sans aucune justification réelle au regard des enjeux effectifs.

La troisième raison, c’est que, contrairement à une opinion très répandue, je pense que c’est dans un cadre fédéraliste, ou plutôt confédéral, que les intérêts majeurs des pays participants peuvent être le mieux préservés.

 

L’EE :  Qu’est-ce que, pour vous, l’Europe ?

M. A. : Pour moi l’Europe, c’est l’ensemble des pays européens étroitement liés par une histoire et une civilisation communes.

 

L’EE : Que répondez-vous à ceux qui se demandent “ Pourquoi l’Europe et pour quoi faire ”  ?

M. A. : Il s’agit avant tout de vivre ensemble dans un cadre institutionnel commun permettant de mettre fin à des rivalités absurdes et suicidaires.

En fait, dans ces derniers siècles, toute l’histoire de l’Europe a été dominée par des rivalités de la France, de l’Angleterre, et des pays de langue allemande. Ces rivalités qui ont conduit aux deux guerres mondiales n’ont fait que les affaiblir et compromettre gravement leur avenir et leur civilisation.

 

L’EE : Considérez-vous l’union de l’Europe comme le dernier palier avant la constitution d’un État et d’un Marché planétaires ?

M. A. : Je ne crois pas que l’union de l’Europe puisse actuellement être considérée comme le dernier palier avant la constitution d’un État et d’un Marché planétaires.

Peut-être, dans un ou deux siècles, arrivera-t-on à créer une organisation politique et économique commune dans un cadre mondial unitaire. Mais ce n’est pas là maintenant une question réaliste.

Vivre ensemble à l’échelle du monde implique de toute évidence une évolution progressive et la question qui se pose aujourd’hui, c’est la constitution d’organisations économiques et politiques régionales dans les différentes parties du monde.

 

L’EE : Pour vous, où s’arrête le continent européen ? Aux marches orientales de la Pologne ? À l’Oural ? Au détroit de Béring ? La Russie et la Turquie sont-elles européennes ? Ont-elles vocation à rejoindre un jour l’Union européenne ?

M. A. : Dans l’état actuel des choses l’Europe doit se limiter aux marches orientales de la Pologne, de la Bulgarie, de la Roumanie.

En aucune façon la Russie et la Turquie ne sauraient être considérées comme européennes. La Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, forment un tout immense s’étendant jusqu’à l’océan Pacifique, qui doit se grouper dans une confédération européenne. Quant à la Turquie, tout la différencie de l’Organisation européenne.

Qu’il s’agisse de la Russie ou de la Turquie, elles n’ont aucune vocation à rejoindre l’Union européenne. En fait, qu’il s’agisse de l’Europe, de la Russie, et de la Turquie, elles doivent prendre place et se développer dans le cadre d’organisations régionales.

 

L’EE : Huit ans après l’adoption du traité de Maastricht, quelques années après la ratification du traité d’Amsterdam et après la calamiteux sommet de Nice, quel bilan faites-vous de la construction européenne ?

M. A. : Essentiellement toute la construction européenne depuis la guerre a reposé sur une erreur. Commencer par la construction économique en remettant à plus tard la construction politique.

Personnellement je n’ai cessé d’affirmer depuis 1945 que la construction politique devait précéder la construction économique.

Si je puis prendre une image, lorsque l’on construit un immeuble il faut de toute évidence commencer par ses fondations et son architecture générale avant de procéder à tous ses aménagements intérieurs.

 

L’EE : Faut-il une constitution pour l’Union européenne ? Pourquoi ?

M. A. : Cette question se rattache directement à la précédente.

L’Union européenne doit reposer sur une confédération de pays participants à l’image de la Confédération helvétique, et de toute évidence cette Confédération doit reposer sur une constitution, ou mieux sur une Charte confédérale, précisant les droits délégués par les pays participant à l’autorité confédérale et préservant expressément les droits fondamentaux que chacun des pays participants entend préserver.

S’il s’agit, par exemple, de l’immigration il est normal que chaque pays participant veuille éviter que l’autorité confédérale puisse lui imposer une politique d’immigration qu’il juge indésirable.

 

L’EE : Quelle doit être la priorité de l’Union européenne : son approfondissement, c’est-à-dire la réforme de ses institutions, ou bien son élargissement aux États candidats ?

M. A. : C’est un fait que pour l’essentiel l’Union européenne groupe actuellement des États ayant dans l’ensemble de profondes similitudes quant à leur économie et à leur culture. C’est un fait également que sur le plan économique il faut distinguer entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est. Ainsi et par exemple les niveaux de salaires réels sont extrêmement différents à l’Ouest et à l’Est. Sur le plan économique élargir actuellement l’Union européenne en intégrant les pays de l’Europe de l’Est n’aurait d’autre résultat que de susciter un déferlement de populations de l’Est vers l’Ouest, et un nombre considérable de délocalisations, en suscitant à l’Ouest un accroissement considérable du chômage.

De toute évidence il convient que les pays de l’Europe de l’Est s’associent préalablement dans un cadre économique analogue à celui de l’Europe de l’Ouest, ce qui ne pourrait que favoriser considérablement leur développement et élever progressivement leurs niveaux de vie. Au terme de cette évolution l’intégration économique des deux Europe deviendrait possible. Mais de toute évidence une telle évolution demandera de longues années.

Ainsi ce n’est que lorsque les niveaux de vie à l’Est et à l’Ouest seront effectivement comparables qu’une association économiques des deux Europe pourra s’effectuer. Mais par contre rien n’empêche actuellement que des liens politiques et culturels s’établissent entre les pays de l’Europe de l’Ouest et ceux d’Europe de l’Est.

Pour le moment ce qui est nécessaire et urgent pour l’Union européenne, telle qu’elle existe, c’est de combler le retard institutionnel qui l’a caractérisée.

Pour moi, le cadre qui me paraît préférable c’est celui d’une confédération politique susceptible de préserver les droits fondamentaux des États participants tout en resserrant leurs liens politiques. En tout cas, l’établissement d’un marché commun effectif implique de toute évidence un cadre institutionnel commun.

Au total la priorité actuelle pour l’Union européenne doit être l’établissement d’un cadre politique confédéral approprié et non son élargissement à l’Est, actuellement tout à fait prématuré (1).

 

L’EE : Que vous inspirent les“ premiers pas ” de l’euro en tant que monnaie unique de plus de 300 millions d’Européens ?

 

M. A. : Ma conviction est que cette mise en place est tout à fait prématurée. Autant une monnaie unique apparaît nécessaire une fois mise en place une Europe politique, autant il est tout à fait prématuré et dangereux pour les pays participants de renoncer à leurs monnaies nationales avant que ne soit précisé le cadre géographique et politique commun d’une Confédération européenne.

Probablement la meilleure solution aurait été la coexistence des monnaies nationales et de l’euro tant qu’un ordre politique commun n’aurait pas été mis en place.

 

L’EE : Afin de résoudre le problème corse, le gouvernement de Lionel Jospin avait proposé d’accorder une véritable autonomie à l’Ile de Beauté. Exigez-vous la même chose pour les autres régions françaises ? Y seriez-vous favorable ?

M. A. : Pour moi accorder une véritable autonomie à la Corse est tout à fait contre-indiqué.

Quelle est en effet la question fondamentale de ce siècle ? À quelque échelon que l’on se place, au point de vue international ou au point de vue national, “ c’est vivre ensemble ”.

Il résulte de là que dissocier la Corse de l’ensemble de la France continentale est tout à fait contre-indiqué. Autant une décentralisation dans un très grand nombre de domaines paraît souhaitable, autant une autonomie quelconque accordée à une partie du territoire ne me paraît pas souhaitable.

Autant pour l’ensemble des pays de l’Union européenne “Vivre ensemble” est un objectif majeur; autant, pour chacun des pays participants, son démembrement en régions autonomes paraît indésirable. Ce serait là aller à l’encontre de l’objectif général poursuivi.

 

L’EE : Que pensez-vous des institutions de Bruxelles ?

M. A. : Les dangers de l’organisation bruxelloise ne sont que trop évidents. Encore une fois ce qui est nécessaire, c’est l’établissement dès que possible d’une Confédération européenne fondée sur une Charte ou une constitution précisant le cadre politique commun de l’Union européenne, et approuvé par référendum avec une majorité qualifiée dans chacun des pays membres.

Un tel cadre politique doit comporter une Autorité confédérale et un Parlement constitué d’une Chambre européenne élue au suffrage universel et d’un Sénat européen désigné par les différents parlements nationaux et seul capable de s’opposer à tout empiétement de l’Autorité confédérale sur les droits propres aux États membres tels que définis par la Charte confédérale.

 

L’EE : Au-delà de la question corse et les accords de Matignon, que pensez-vous des revendications régionalistes en Europe occidentale (Flandre, Écosse, Pays basque, Savoie, Italie du Nord, etc…) ?

M. A. : Si l’objectif fondamental de l’Europe de l’Ouest doit être “ Vivre ensemble ”, il est réellement tout à fait contre-indiqué de favoriser la   dissociation des régions des différents États.

De toute évidence la dissociation des États en régions autonomes va à l’encontre de l’objectif fondamental, réaliser des conditions permettant de rapprocher toutes les populations les unes des autres.

En ce qui concerne notamment les langues régionales, favoriser leur développement au détriment des langues nationales paraît réellement en contradiction avec l’objectif poursuivi.

Pour “ Vivre ensemble ” il n’est que trop évident que la multiplication des langues ne peut que compromettre l’objectif recherché. La diversité actuelle des langues dans l’Union européenne n’est déjà qu’une source trop évidente de difficultés.  

 

L’EE : Est-ce que la mondialisation représente une menace pour les identités régionales, nationales et européennes ?

M. A. : En fait, c’est beaucoup plus qu’une menace. La mondialisation, telle qu’elle est mise en œuvre, représente un danger majeur à l’encontre de la civilisation dans le monde entier, et tout particulièrement à l’encontre de la démocratie.

Il faut bien réaliser que les multinationales américaines se sont emparées du pouvoir politique aux États-Unis. Aucun représentant, aucun sénateur, aucun président des États-Unis ne peut se faire élire sans leur soutien.

Ces multinationales dominent de fait toutes les organisations internationales qu’il s’agisse du F.M.I., de l’O.M.C., de l’O.C.D.E. et même de l’Organisation de Bruxelles où partout elles ont placé des hommes dont le soutien leur est acquis.

À l’exemple des multinationales américaines, des multinationales se développent partout dans le monde avec les mêmes objectifs.

Cette domination des multinationales qui ne poursuivent que leurs propres intérêts représente aujourd’hui un danger majeur pour le monde entier.

 

L’EE : Le déclin de l’Europe est-il irrémédiable ?

M. A. : Certainement pas. Si l’Europe réagit à temps, si elle prend conscience des dangers qui la menacent, si elle prend des mesures appropriées, elle pourra redevenir ce qu’elle n’a cessé d’être dans les derniers siècles, un foyer de culture et de civilisation incomparable.

 

L’EE : Comment expliquez-vous que les médias français vous boycottent et préfèrent donner la parole à d’autres Prix Nobel (physique, littérature) ?

M. A. : Cette attitude n’est pas nouvelle. Elle n’a cessé de se manifester depuis la fin de la guerre.

Pour ne prendre qu’un exemple, le Prix Nobel que j’ai reçu en 1988 a puissamment contrarié les médias français. Ainsi aucune chaîne de télévision française n’a envoyé de représentant à Stockholm à l’encontre par exemple du Japon qui pourtant n’avait reçu aucun Prix Nobel cette année-là.

La situation aujourd’hui est tout à fait semblable. Depuis douze ans que je combats la libéralisation totale des échanges, et que je ne cesse de souligner ses dangers mortels pour la France et l’Europe, ma voix n’a cessé d’être étouffée. Un silence de plomb a été fait sur mon dernier ouvrage La mondialisation, la destruction des emplois et la croissance.

En fait, les médias ne sont pas libres. Ils sont sous la domination totale de groupes de pression totalement acquis aux thèses mondialistes. Ces groupes de pression agissent puissamment dans l’ombre et tout particulièrement par la voie des subventions accordées aux médias sous le couvert de la publicité.

En réalité, la démocratie n’est plus qu’une façade derrière laquelle agissent constamment des mafias de toutes sortes, poursuivant des objectifs qui, s’ils étaient réellement connus, seraient rejetés par la presque totalité du peuple français.

                                              

Propos recueillis par Maximilien Malirois

 (1) : À propos de l’élargissement de l’Union européenne vers l’Est, le Professeur Allais nous a raconté l’anecdote suivante. Il y a une dizaine d’années, à l’occasion d’un colloque international, un Polonais lui dit : “ Si la Pologne ne rejoint pas l’Europe, on reviendra au communisme. ” Le Professeur Allais lui répondit : “ Si la Pologne adhère trop rapidement à l’Europe, on deviendra alors communiste ! ” (N.D.L.R.)

 

Source : esprit-europeen.fr, 2000 via Les-crises.fr

« Excellente interview sur l’Europe – la vraie, qui peut marcher – de Maurice Allais (« socialiste libéral ») parue en 2000… »

Olivier Berruyer

Informations complémentaires :

 

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