Quand la crise des démocraties devient «le prix à payer» pour l'évasion fiscale

Un documentaire qui semble prometteur, afin de sensibiliser finalement le plus grand nombre au problème de l'évasion fiscale, et au-delà de cela de la finance dématérialisée. Car il faut que tout un chacun, l'employé, l'artisan, le chômeur, que tout le monde comprennent le rôle central de ces problèmes et de leurs conséquences sur notre vie de tous les jours... dans le réel...

Le long métrage de Harold Crooks démontre que l’évasion fiscale est une des causes de la perte de sens des démocraties occidentales.

«Deux cent vingt-cinq ans après la Révolution française, on revient au point de départ avec des privilégiés qui ne paient pas d’impôt» : pour l’experte en politique fiscale Brigitte Alepin, indépendante et québécoise, l’évasion fiscale serait à l’origine d’une formidable progression des inégalités dans le monde, bien plus qu’on ne le perçoit.

Quant à Thomas Piketty, fort de son statut de star aux Etats-Unis grâce au succès de son pavé Le Capital au XXIe siècle, il ne remonte le temps que d’un siècle lorsqu’il estime que les inégalités de revenus ont retrouvé leur niveau de 1913. Selon lui, si les pays de la zone euro n’agissent pas collectivement contre l’évasion fiscale, «il n’y aura plus d’impôt sur les sociétés dans vingt ans». Et qui paiera ?

Ces deux experts interviennent dans le documentaire Le prix à payer, tourné comme un long métrage policier. Après Le hold-up du siècle du journaliste Xavier Harel, diffusé en septembre 2013, cette production entend dénoncer les effets dévastateurs de l’évasion fiscale. «Pas forcément illégale mais toujours immorale», et scandaleusement dangereuse pour l’avenir des sociétés.

Harold Crooks, le réalisateur du film, en salles ce 4 février, est un habitué du genre : dans ses précédents documentaires, comme Bhopal : en quête de justice, The Corporation, dans lequel il met en accusation les multinationales prédatrices, ou Survivre au progrès, où il analyse les conséquences néfastes pour l’écologie des prêts de Wall Street, il s’est attaqué à des phénomènes économiques pour dénoncer leurs effets sur la vie des citoyens.

Des «insiders» pour démonter le système

Cette fois, en démontant les mécanismes de l’évasion fiscale, il entend démontrer que l’avenir des démocraties est en jeu. Parce que «tandis que les Trésors publics deviennent de moins en moins capables de financer l’Etat-providence, les inégalités de revenus atteignent des niveaux inégalés depuis plus d’un siècle». Parce que «ces milliards de dollars non imposés – la richesse qui manque aux nations – restent sous contrôle de la finance et des grandes entreprises globales». Parce que, aussi, «dans un monde où la richesse des multinationales n’a plus d’adresse fixe, la démocratie ne peut être préservée que si nous agissons en coopérant au-delà des frontières».

La force de ce documentaire vient de la qualité même des personnalités qui ont accepté de participer au tournage. Outre les deux experts déjà cités, le directeur du centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE Pascal de Saint Amans et l’inspecteur des finances Nicolas Colin sont, comme l’ancien vice-président de la BNP Daniel Lebègue, devenu président de la section française de Transparency International, des spécialistes parfaitement au courant des rouages du système.

D’autres insiders enrichissent la dramaturgie, comme un ancien président et un ex-directeur de l’Autorité monétaire des îles Caïmans, d’anciens membres des cabinets de conseil McKinsey ou PricewaterhouseCooper, ainsi que l’ancien conseiller économique de l’Etat de Jersey John Christensen, devenu directeur de l’ONG Tax Justice Network … Avec ces mots, de la part de Christensen : «Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui en parlent ne savent pas», qui s’appliquent notamment aux financiers de la City de Londres, présentée comme le plus ancien et plus grand paradis fiscal au monde.

Des gouvernants aux mains liées qui réagissent

Bien sûr, les dirigeants politiques s’attaquent au système. Mais, pour Harold Crooks, ils n’ont pas la maîtrise de leur stratégie : «Les gouvernants dirigent leurs pays dans les limites imposée par le système financier.» Un système d’autant plus difficile à attaquer que, à cause d’une réglementation imprécise, l’évasion fiscale n’est pas illégale. Deux poids, deux mesures lorsqu’on compare cette «optimisation fiscale» tolérée à l’arsenal des dispositions réglementaires destinées à empêcher les citoyens de se soustraire à leurs impôts… dont les montants explosent pour compenser l’évasion fiscale.

Le prix à payer ne ferait que reprendre des éléments sur lesquels Washington et les capitales européennes ont maintenant progressé et pourrait lasser si, grâce à la réalisation technique de ce film, le spectateur ne cessait de rebondir d’un scandale à l’autre. Crooks part de chez Apple pour l’entraîner parmi les bananes du Guatemala, en passant par les contribuables irlandais et maintes autres aberrations... pour en conclure que la finance, qui devrait gérer les risques, est devenue au contraire une source de risques – crise à l’appui. Le tout sans véritablement créer de valeur.

Les financiers n’apprécieront pas forcément, mais la démonstration est forte. Et comme on ne s’endort pas pendant les 90 minutes du film, compte tenu du rythme des rebondissements, on devrait entendre parler de cette production alors que le dossier de la taxe sur les transactions financières – dont il est question dans le documentaire – doit être ouvert en Europe en 2015… pour peut-être aboutir.

 

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