Comptes de campagne de Sarkozy rejetés : des sondages payés par l’Élysée doivent être réintégrés

Ce vendredi 21 décembre, «l’Express» nous apprend que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a rejeté les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle de 2012. Selon l'hebdomadaire, la commission a réintégré «des dépenses antérieures au 15 février 2012», jour d'entrée en campagne de Sarkozy. Si des dépenses liées à des réunions publiques ont retrouvé leur place dans la comptabilité de l'ancien président, alors certaines dépenses en communication et sondages doivent l'être aussi, comme le suggérait «Marianne» dès le mois d'octobre.

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BIZERRA JR/EFE/SIPA

Suite aux révélations de l'Express  sur les comptes de campagne de Sarkozy rejetés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), nous republions l'enquête de Gérald Andrieu paru dans le numéro 808 du magazine Marianne du 13 octobre 2012 qui interrogeait déjà les « étranges comptes de campagne de Sarkozy »

Ce fut la première «affaire» du quinquennat Sarkozy. Elle prend aujourd'hui un tour nouveau grâce à un homme, un citoyen nommé Raymond Avrillier. Sa démarche débute en juin 2009, lorsque la Cour des comptes révèle l'existence d'une convention signée en dépit du code des marchés publics entre l'Elysée et Publifact, le cabinet d'études de Patrick Buisson, «pour un coût avoisinant 1,5 million d'euros». Scandalisé, le militant écologiste isérois décide de passer à l'action. S'appuyant sur la loi du 17 juillet 1978 permettant l'accès de tous aux documents administratifs, il demande que lui soient communiqués toutes les pièces relatives aux enquêtes d'opinion de la présidence. Après près de trois années de bataille judiciaire et de réticences du Château, l'homme a fini par recevoir par cartons des dizaines de kilos de documents — cet été encore, de nouveaux dossiers siglés de la présidence lui ont été transmis. Des documents que Marianne a pu consulter dans leur intégralité et dont il ressort de nouvelles révélations sur la «tambouille» sondagière concoctée à l'Elysée dès 2007 et jusqu'à la présidentielle 2012.

Les étranges vides des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy

La bizarrerie est passée totalement inaperçue. Une ligne vide. Et une autre dont le montant est très bas. Dans le tableau récapitulant les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy publié fin juillet au Journal officiel, la ligne consacrée aux dépenses en «conseil en communication» est vierge de tout chiffre. Quant à celle destinée à accueillir les frais pour «enquêtes et sondages», dont on sait l'ancien locataire de l'Elysée très friand, il n'y figure qu'un «minuscule» 110 919 €. Quand son adversaire du second tour, François Hollande, lui, affiche 598 619 € de dépenses dans la première catégorie et 236 373 € dans la seconde, l'affaire paraît peu crédible ! Seuls de très «petits» candidats, comme Jacques Cheminade, Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud ne déclarent aucuns frais à cette rubrique. Tous les autres, de Mélenchon à Le Pen en passant par Joly, Bayrou et même Dupont-Aignan, ont dépensé plusieurs milliers d'euros dans ce domaine. Mais, officiellement donc, pas Nicolas Sarkozy. Rien, pas un centime. Une incongruité d'autant plus surprenante que celui-ci, dans ses comptes de campagne de 2007, déclarait un peu plus de 130 000 € de frais pour des conseils en com et environ 527 000 € pour des enquêtes d'opinion.

En clair donc, lors de la dernière campagne présidentielle, Sarkozy a dépensé 547 000 € de moins en matière de sondages et de communication qu'en 2007. La campagne du candidat de l'UMP aurait-elle subi, crise oblige, un «régime rigueur» ? En tout cas, son entrée tardive en campagne (officiellement le 15 février 2012) ne peut expliquer la réduction drastique de ces deux postes de dépenses : au total, le candidat Sarkozy de 2012 a dépensé 300 000 € de plus que le candidat Sarkozy de 2007, entré plus tôt dans la bataille électorale...

Contacté par Marianne, le mandataire financier de la campagne de Sarkozy, le député d'Indre-et-Loire Philippe Briand, explique que, «à [sa] connaissance, il n'y avait pas d'équipe de communication» autour du candidat de l'UMP ! «Du moins, je n'en ai jamais vu au siège de campagne», s'empresse-t-il d'ajouter. Mais quid alors des deux conseillers historiques ès communications et sondages de Nicolas Sarkozy, Pierre Giacometti et Patrick Buisson ? «De mémoire», déclare Briand, leurs services figureraient à la rubrique «Enquêtes et sondages»«Je crois», ajoute-t-il, visiblement peu sûr de lui. Lui aussi contacté par Marianne, Pierre Giacometti assure que les prestations de sa société auprès du candidat auraient bel et bien été payées au titre de la campagne. Pourquoi n'apparaissent-elles pas dans la rubrique «Conseils en communication» ? Et si toutes figurent au chapitre «Enquêtes et sondages», comment justifier que ses services, ajoutés à ceux de Patrick Buisson, ajoutés aux commandes — on l'imagine — de multiples sondages, atteignent seulement 110 919 €, soit moitié moins que ceux de François Hollande, et moins que ceux de Marine Le Pen (127 852 €) ?

Des sondages pour le président, pour le candidat ou pour le président candidat ?

Une partie des enquêtes et des conseils fournis au candidat Sarkozy auraient-ils été supportés par la présidence de la République, et donc par le contribuable ? Après tout, les sociétés Giacometti Péron & Associés et Publifact sont commercialement liées à l'Elysée, depuis 2008 pour la première et 2007 pour la seconde... C'est la question que se pose Raymond Avrillier. Pour lui, la nature des contrats et le contenu même de certains sondages — ceux portant sur une intervention télévisée de Marine Le Pen, s'intéressant à l'électorat écologiste ou aux adversaires socialistes comme les a récemment dévoilés Mediapart — laissent peu de place au doute : Buisson et Giacometti ne se contentaient pas de conseiller le président, mais également le candidat à sa propre réélection. Et ce, surtout, avant même son entrée officielle en campagne le 15 février 2012. D'ailleurs, Jérôme Lavrilleux, grand manitou des meetings de Nicolas Sarkozy, n'a-t-il pas déclaré, dans une interview à l'Express, avoir entendu Nicolas Sarkozy parler de la campagne pour la première fois, «précisément, le mardi 19 avril 2011 à 20 h 30» ? Et ledit Lavrilleux n'a-t-il pas ajouté, dans le même entretien, qu'«à partir de la fin de septembre [il a] participé avec Jean-François Copé et l'équipe dirigeante de l'UMP à une réunion tous les quinze jours ou toutes les trois semaines autour du président»... Pour Raymond Avrillier, cela signe le flou (et le loup !) chronologique : dans un courrier adressé cet été à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), le Grenoblois suggère donc d'«affecter au compte de campagne du candidat M. Nicolas Sarkozy» toutes les dépenses de l'Elysée en matière de «conseils en communication» et d'«études et sondages» à partir d'avril 2011. Soit, selon ses estimations, plus de 1,3 million d'euros. Pour l'heure, la CNCCFP ne pipe mot. Les comptes des candidats à la présidentielle sont toujours en cours «d'instruction», fait-on savoir, en précisant toutefois espérer publier des conclusions au Journal Officiel avant la fin de l'année 2012.

Parallèlement, la justice s'est aussi saisie du dossier. Comme l'a révélé le Monde du mercredi 10 octobre, le procureur de Paris a ouvert une enquête préliminaire  en mai dernier sur la base des dénonciations faites par Raymond Avrillier auprès du parquet pour «prise illégale d'intérêts» et «détournement de biens». L'association anticorruption Anticor a par ailleurs déposé une nouvelle plainte contre X allant dans ce sens mardi 9 octobre. Mais la justice s'intéressera-t-elle, précisément, à la période très particulière de la campagne présidentielle dont il est question ici ?

Quand l'Elysée tentait de se faire discret

A l'approche du grand rendez-vous électoral, l'Elysée a, semble-t-il, voulu éviter d'être pris en défaut. Le 16 février 2012 — le lendemain de la déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy —, Publifact et Giacometti Péron & Associés, les deux sociétés de conseil en affaires avec la présidence, décident, par un avenant à leur contrat, de réduire le coût de leur prestation. La «rémunération de la mission» de Patrick Buisson est «réduite de 80 % et s'établit à 2 000 € HT par mois», précise l'avenant. Celle versée à la société de Pierre Giacometti est également rabotée de 80 %, pour atteindre 6 620 € HT mensuels, contre 33 120 € TTC auparavant. A en croire Pierre Giacometti, cette brusque baisse s'explique par la nouvelle ventilation des prestations : 80 % pour le candidat réglés au titre de la campagne ; 20 % restant à la charge de l'Elysée. Mais cette soudaine coupe claire est tout de même très instructive. Si Buisson et Giacometti décident, en février 2012, de baisser leurs rémunérations pour signifier qu'ils ne conseillent désormais presque plus le président Sarkozy mais essentiellement le candidat Nicolas, c'est qu'avant cette date ils conseillaient bien le président candidat pas encore déclaré ! Voilà qui apporte de l'eau au moulin d'Avrillier...

Dès 2007, des sondages parus dans la presse... payés par l'Elysée !

On comprend aisément que la présidence ait voulu se couvrir dans la perspective de la présidentielle de 2012 : le rapport de la Cour des comptes de juillet 2009 avait fait grand bruit. Outre le fait que l'Elysée avait signé une convention avec Publifact sans procédure d'appel d'offres, on apprenait par les magistrats enquêteurs que, «sur les 35 études diverses facturées en 2008, au moins 15 d'entre elles avaient également fait l'objet de publication dans la presse».

D'après nos informations, cette pratique avait déjà cours en 2007. En effet, nous avons pu consulter les derniers documents reçus cet été par Raymond Avrillier, portant sur la période de juin à décembre 2007. Une grande partie des enquêtes alors commandées par Publifact — qui furent dans la foulée facturées à l'Elysée pour un montant total de 581 854 € — ressemblent fort à des sondages déjà parus dans la presse ! Il en va ainsi de deux enquêtes portant sur le premier et le second tour des législatives de juin 2007, réalisées par TNS Sofres-Unilog et chacune facturée 5 980 € par Publifact à l'Elysée ! Il aurait pourtant suffi d'ouvrir le Figaro, d'écouter RTL ou de regarder LCI, clients tous trois de TNS Sofres pour ces mêmes sondages, afin d'en connaître les résultats. Les plus tatillons auraient pu consulter d'un simple clic sur le site Internet du Figaro la version intégrale de ces deux sondages... L'Elysée a préféré les payer. Autre exemple : l'enquête d'opinion, datée du 12 octobre 2007 et réalisée par l'Ifop pour Métro, portant sur «les Français et la réforme des retraites». Elle fut facturée à la présidence de la République pour la modique somme de 10 764 € ! Là encore, aucune différence entre la version disponible sur le site du sondeur et la version transmise à Avrillier. Un dernier cas pour la route : le week-end du 22 au 23 décembre 2007, le JDD évoque dans ses colonnes «un sondage exclusif Ifop». Mais, à l'évidence, l'«exclusivité» n'était pas au rendez-vous. Contre 4 186 € versés à Publifact, la présidence de la République a eu droit aux mêmes questions et aux mêmes résultats sur un sujet hautement important : le regard des «Français» sur «la liaison entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni» ! Aucune trace donc, dans ces sondages reçus par Raymond Avrillier, de questions complémentaires qui auraient justifié de telles dépenses du château. C'est pourtant la défense qu'avaient utilisé certains sondeurs, en 2009, après la publication du rapport de la Cour des comptes... Reste donc des questions. Les journaux ont-ils aussi payé ? Ces sondages étaient-ils «coproduits» ? Qui écrivait les questions ? Impossible pour l'instant de démêler ce curieux écheveau politico-médiatique...

Buisson : sa petite entreprise (familiale) n'a pas connu la crise

Impossible, aussi, de savoir quelle marge Patrick Buisson réalisait sur ses enquêtes— y compris sur celles déjà parues dans la presse. Mais, de toute évidence, l'affaire était juteuse. D'après les comptes annuels de Publifact, que s'est procurés Avrillier, la société de Patrick Buisson enregistrait en 2006 un chiffre d'affaires d'un peu plus de 523 000 € pour un résultat net de près de 174 000 €. A partir de 2007, date à laquelle l'Elysée devient client de Publifact, le chiffre d'affaires explose et passe alors à 1,7 million d'euros pour un résultat net qui tourne autour de 835 000 €.

Sans doute inquiet des enquêtes menées par les magistrats de la Cour des comptes, Publifact a décidé en 2009 de scinder son activité en deux. Une société, Publi-Opinion, est créée début avril. Et, à la fin du mois, les deux entreprises signent un nouveau «contrat de prestation de service» avec l'Elysée. Toutes deux sont domiciliées dans le VIIIe arrondissement de Paris. Nous nous sommes rendus aux deux adresses. Sur place, aucune mention de Publi-Opinion, ni de Publifact, mais à chaque fois la présence d'une même société... de domiciliation d'entreprises, ABC LIV ! De simples boîtes aux lettres, en somme, où il sera difficile de croiser Patrick Buisson, signataire du contrat pour Publifact, ou bien... Georges Buisson, son fils, signataire du contrat pour Publi-Opinion. Comme il y a peu de chances de voir celui qui, dans les registres, est présenté comme le gérant de ces deux entreprises et dont on ne sait rien si ce n'est qu'il serait «né en 1943» : un certain... Jean-Pierre Buisson ! Si jamais la justice doit les contacter, c'est peut-être à ABC LIV qu'il lui faudra adresser ses courriers. Avec accusé de réception.
 
 
Source : Marianne.net

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