« Baby Doc » rentre en Haïti et provoque un séisme politique

Décidément les dictateurs sont d'actualité... Baby Doc, alias Jean-Claude Duvalier, président à vie d’Haïti, pensant tirer parti de la situation désespérée sur place, tente, après 25 ans de protectorat français sur la Côte d’Azur, de faire un come back dans le pays en plein chaos électoral. Il y avait fait régner, pendant 15 ans (de 1971 à 1986) une dictature aiguisée, avec l’aide de sa police secrète (les "Tontons Macoutes"). Forcément la population haïtienne n’a pas beaucoup apprécié. Et alors que (préparant ses arrières) il fomentait un possible retour d'urgence à Paris sous trois jours, il a été officiellement inculpé mardi de corruption, vol, détournement de fonds et abus de pouvoir pendant ses années de règne, de 1971 à 1986. Mais laissé en liberté, avec interdiction de quitter le sol haïtien. Certains y voient une sombre manœuvre du président actuel René Préval, d’avoir manigancé ce retour pour brouiller encore plus les cartes dans le chaos électoral actuel, et profiter de la situation pour s’accrocher un peu plus au pouvoir, au-delà de la fin de son mandat, le 7 février.

Dimanche 16 janvier, à partir de 17 h 30, les téléphones portables se sont mis à sonner et à vibrer à travers tout Port-au-Prince. Deux stations de radio venaient d’annoncer la nouvelle du retour en Haïti de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier (1), mais l’information paraissait trop grosse, en plein chaos électoral.

Dans un pays habitué à la rumeur, où les médias ont du mal à trier le bon grain de l’ivraie, chacun cherchait à obtenir une confirmation, ou un démenti, à ce coup de tonnerre. Jusqu’à ce que, tardivement, les premières images n’apparaissent en début de soirée à la télévision, montrant l’ancien chef de l’État de 59 ans, toujours joufflu, se frayant un chemin en costume à l’aéroport.

Quelques jours à peine après les commémorations du premier anniversaire du tremblement de terre du 12 janvier 2010, ce retour constitue, dans un tout autre domaine, un nouveau séisme : il a coupé le souffle au Haïtien de la rue aussi bien qu’à la classe politique et aux différents observateurs. D’autant que le pays traverse, depuis le premier tour de l’élection présidentielle du 28 novembre, une crise politique grave qui complique encore la reconstruction.Pix Trans

Des manifestations vont-elles éclater ?

En raison d’une fraude importante, les résultats du premier tour ne sont toujours pas officiels, et le président René Préval semble peu pressé d’entériner le rapport que lui a remis la semaine passée l’Organisation des États Américains (OEA) et qui élimine son candidat, Jude Célestin, du second tour. Mirlande Manigat, arrivée en tête, et Michel Martelly, chanteur populaire et coqueluche des milieux populaires, devraient, selon l’OEA, disputer le second tour, sans doute fin février.

Dans ce contexte, le retour de l’ancien dictateur relance encore l’inquiétude et l’incertitude qui pèsent dans ce pays au contexte politique très volatile. « Mais qu’est-ce qu’il vient faire là ?, s’interroge Élysée, jeune entrepreneur en téléphonie mobile. À quoi ça rime ? » Que va-t-il se passer dans les jours qui viennent ? Des manifestations vont-elles éclater ? Comment va réagir la population qui, sans regretter le régime Duvalier, garde le souvenir d’un pays en état de marche, certes injuste et violent, mais propre et organisé ?

La chute du régime Duvalier avait ouvert la voie à l’instabilité politique et à un appauvrissement rapide qui génèrent énormément de frustrations. Le succès de Michel Martelly, nouveau venu en politique et partisan d’un certain retour à l’ordre, est aux yeux de nombreux observateurs le signe de l’attrait chez les couches populaires d’un courant « néo-duvaliériste ».

Chez les défenseurs des droits de l’homme, dont de nombreux porte-parole n’ont pu rentrer au pays qu’après la chute de « Baby Doc », on est visiblement sous le choc. « Alors que la Tunisie chasse son dictateur, voilà que nous accueillons le nôtre », déplore Sylvie Bajeux, une militante. Pix Trans

Ce retour a reçu le feu vert du gouvernement actuel

On soupçonne en outre le président actuel, René Préval, d’avoir manigancé ce retour pour brouiller encore plus les cartes dans le chaos électoral actuel et profiter de la situation pour s’accrocher un peu plus au pouvoir, au-delà de la fin de son mandat, le 7 février.

Car au milieu de cette incertitude, une chose est certaine pour tout le monde : ce retour a reçu le feu vert, sinon l’encouragement, du gouvernement actuel. « J’ai appelé le ministre de l’intérieur, il m’a dit qu’il n’était pas au courant, confie à La Croix un candidat au poste de sénateur sous les couleurs de l’Inité, le parti du président René Préval. Je ne sais pas s’il me disait la vérité… On ne comprend pas ce qui se passe, et je ne peux pas me prononcer ouvertement encore. Il est trop tôt. Mais un retour pareil n’est pas possible sans accord du président. Je crois que le but de cette manœuvre est de compliquer encore le jeu politique. Je n’exclus même plus le retour d’Aristide de son exil sud-africain ».

Ce retour dimanche de « Baby Doc » est d’autant plus surprenant, ou d’autant plus dérangeant, qu’il intervient le jour même où, selon le calendrier électoral initial, le pays devait se prononcer à l’occasion du second tour du scrutin présidentiel. Alors que les Haïtiens attendaient un nouveau président, sorti de l’isoloir, c’est un ancien dictateur qu’ils ont vu débarquer.

GILLES BIASSETTE, à Port-au-Prince

(1) Jean-Claude Duvalier a été président de Haïti de 1971 à 1986. Il avait succédé à son père François Duvalier («Papa Doc») qui dirigea le pays de 1957 à 1971.
 
Source : La Croix

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