La guerre des médias aura bien lieu...

Le journaliste Clément Sénéchal expose, dans une enquête militante, les enjeux de pouvoir de la révolution numérique. Entre réappropriation civique et reformation de nouveaux empires.

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David Pujadas

A première vue, le paysage médiatique est bloqué, cadenassé à double tour par des groupes puissants. Et pourtant de nouveaux fronts s'ouvrent, des recompositions s'opèrent. Nul ne sait ce qu'il en sortira.

Mais pour Clément Sénéchal, auteur du livre Médias contre médias, la société du spectacle face à la révolution numérique, les médias sociaux sont en train de redessiner les contours d'un univers pour l'heure dominé par les oligarques de la presse, à quelques exceptions près.

L'auteur formule son hypothèse en ces termes : «La structure médiologique du Web 2.0 et des réseaux sociaux relance la bataille culturelle jusqu'alors verrouillée par la densité des positions prises par les intérêts capitalistes dans les mass media.» Pour cet ex-journaliste de Mediapart, qui fut webmaster de l'équipe Mélenchon en 2012, les nouveaux venus font bouger les lignes.

Dans une première partie, il analyse longuement ce qu'il nomme «la verticale du pouvoir», intrinsèquement déloyale et inégalitaire. Il rappelle que sept familles environ se partagent l'essentiel du système médiatique, régenté par des gardiens du temple idéologique. Ces derniers portent la bonne parole à ceux qui sont des «dépossédés du discours», réduits à l'état de potiches, de victimes que l'on flatte ou que l'on méprise, mais qu'on ne responsabilise jamais, par réflexe de classe.

A contrario, écrit Clément Sénéchal, «le numérique transforme le champ culturel en une immense conversation ouverte à tous». A la verticalité des médias traditionnels s'oppose l'horizontalité des réseaux sociaux. Plus de hiérarchie du spectacle. Plus de discours asséné d'en haut. Plus de savoir réservé à une élite et distribué au gré des calculs et des manipulations, mais «une démocratie discursive permanente» et «la promesse fragile d'une réappropriation civique». A ceux qui dénoncent l'explosion du narcissisme sur Internet, Sénéchal oppose le pari de ce qu'il baptise «le cercle des humbles». On pense à l'écrivain chinois Liu Zhenyun, qui aime à dire : «Pour les Chinois, Internet est un cadeau de Dieu.»

Main basse sur les données

Bon. L'auteur de Médias contre médias n'est pas né du dernier clic. Il sait qu'entre son rêve d'un «parti en réseau», débureaucratisé, permettant au peuple de gagner la bataille de «l'hégémonie culturelle» chère à Gramsci, et la réalité, il y a un monde. Il parle d'ailleurs de «guerre de mouvement» entre les adeptes de l'émancipation médiatique et les tenants de l'ordre établi, lesquels ne restent pas l'ordinateur au pied.

Les multinationales de la télécommunication n'ont en rien abdiqué. Elles régentent toute l'infrastructure du Web, des câbles sous-marins aux outils les plus sophistiqués. Elles ont un poids qui leur permet de faire et défaire les canaux numériques. Elles font main basse sur les données personnelles, comme en témoignent les dernières révélations de Snowden sur les connexions entre Orange et les services secrets. Elles tentent d'empêcher toute velléité d'échapper à la logique de la marchandisation, afin de faire taire «les rebelles du dire», comme dit l'essayiste.

Doit-on en conclure que Goliath va réussir à réduire David au silence ? Aux pessimistes, Clément Sénéchal oppose la force de l'engagement civique et militant pour faire du Net «un bien commun inaliénable». Mettant toutes les cartes sur la table, il note les progrès réalisés ici et là, rêve d'une génération de «lanceurs d'alertes», sans négliger pour autant les enjeux propres à la presse traditionnelle, les fameux «médias verticaux». Il rappelle notamment l'esprit du programme du Conseil national de la Résistance, qui définissait des principes visant à protéger les journaux des «puissances d'argent». Les temps ont changé, mais la vision dessinée n'a rien perdu de sa pertinence, même à l'heure du journalisme 2.0.

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Médias contre médias, la société du spectacle face à la révolution numérique, de Clément Sénéchal, Les Prairies ordinaires, 203 p., 16 €.

 

 

 

 

 

 

 

Source : Marianne.net

Informations complémentaires :

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