Mise en danger par publication de données personnelles, anonymat, retour de la loi Avia : fausses solutions ?

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  Comme on l'a vu, la loi Avia ce n'est pas que "la haine en ligne"....

Castex Loi Avia

Le Premier ministre a annoncé ce mardi la création d'un "délit de mise en danger par la publication de données personnelles".
CRÉDITCHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

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De la résurrection des dispositions de la loi Avia censurées par le Conseil constitutionnel à la levée de l'anonymat sur internet réclamée par la droite en passant par la création d'un "délit de mise en danger par la publication de données personnelles", ces mesures pourraient-elles contrer efficacement le rôle délétère des réseaux sociaux illustré par l'attentat de Conflans ?"

"C'est bien parce qu'il a été nommément désigné par les réseaux sociaux que Samuel Paty a été assassiné." Ce mardi 20 octobre, devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre, Jean Castex, a pointé du doigt la responsabilité des réseaux sociaux dans l'attentat de Conflans, en exigeant que ces derniers soient davantage régulés. Le chef du gouvernement a ainsi annoncé la création d'un "délit de mise en danger par la publication de données personnelles".

Cette proposition s'ajoute à celles qu'il était de bon ton d'agiter ces derniers jours au sein du gouvernement et de la majorité, tout comme parmi les représentants de l'opposition. De la résurrection des dispositions de la loi Avia censurées par le Conseil constitutionnel à la levée de l'anonymat sur internet réclamée par la droite, ces mesures pourraient-elles être efficaces, ou relèvent-elles de la simple incantation ?

"Le doxing est déjà puni par la loi"

"La pratique consistant à divulguer sur Internet des informations sur l'identité et la vie privée d'un individu afin de lui nuire a un nom : ça s'appelle du doxing, et c'est déjà puni par la loi", commente auprès de Marianne l'avocat Éric Morain. Atteinte à la vie privée, dénonciation calomnieuse, violation du secret des correspondances, collecte, traitement et divulgation de données personnelles sans le consentement de la victime : les qualifications pénales recouvrant la pratique du doxing ne manquent pas. "La jurisprudence s'est suffisamment emparée de la question pour pouvoir réprimer cette pratique", analyse le juriste.

L'article 226-4-1 du code pénal punit déjà d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende le fait "de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération". L'article 226-22 du même code sanctionne en outre de cinq ans d'emprisonnement et de 300.000 euros d'amende "le fait, par toute personne qui a recueilli, à l’occasion de leur enregistrement, de leur classement, de leur transmission ou d’une autre forme de traitement, des données à caractère personnel dont la divulgation aurait pour effet de porter atteinte à la considération de l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée, de porter, sans autorisation de l’intéressé, ces données à la connaissance d’un tiers qui n’a pas qualité pour les recevoir".

La loi de 1881 sur la liberté de la presse et la liberté d'expression réprime quant à elle la diffamation et l’injure. Ces délits peuvent faire encourir à leurs auteurs une amende de 12.000 euros pour diffamation publique. Le fait de "provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes" est enfin puni par la loi de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende, et sept ans de prison et 100.000 euros d'amende "lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne".

"La question de la répression du doxing me paraît être une priorité", note toutefois Éric Morain, pour qui l'annonce de Jean Castex, si elle conduit à une répression plus sévère de la divulgation d'informations privées sur les réseaux sociaux, va dans le bon sens. "C'est clairement une infraction à la vie privée, qui justifie qu'on modifie la loi et qu'on l'aggrave", explique-t-il.

Des propos "manifestement illicites" ?

", a-t-il avancé lundi sur Europe 1. Je voudrais dire d'ailleurs que le gouvernement a essayé, avec le Parlement, d'avoir des armes pour lutter contre la haine en ligne. La proposition de loi de madame Avia, qui aurait permis justement de faire retirer et de poursuivre ce père de famille a été censuré par le Conseil constitutionnel. Certains, au gouvernement, ne semblent pas vouloir s'arrêter à la création de ce nouveau délit. Après l'attentat, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a en effet regretté que la loi contre la haine en ligne n'ait pas été en vigueur dans la version adoptée à l'Assemblée nationale. "

Samedi, dans Le Parisien, la députée LREM Laetitia Avia, rapporteuse du texte, avait elle aussi déploré que les Sages aient vidé la loi de sa substance : "Avec cette loi, les messages de cyberviolence et les attaques sur un fondement religieux auraient pu être mieux modérés et retirés, car le texte comportait un chapitre sur le fonctionnement de la modération des plates-formes et leur coopération avec les autorités et la justice", plaidait-elle. "Nous sommes face à un assassinat islamiste, et je n'aurais pas l'imprudence de dire 'si cela avait été fait, etc., on n'en serait pas là aujourd’hui", a depuis tempéré la députée auprès de l'AFP, sans désarmer sur le fond. "Il y a une volonté de nuire via les réseaux sociaux, et ça c'est quelque chose contre quoi la loi luttait", assure-t-elle.

Le texte voté et adopté par le Parlement en mai dernier imposait aux plateformes et aux moteurs de recherche l’obligation de retirer, sous peine de lourdes amendes, les contenus "manifestement illicites". En cas de signalement par les autorités de contenus à caractère terroriste ou pédopornographique, ces mêmes plateformes disposaient d’une heure pour les supprimer. En l'espèce, on peut douter que la vidéo évoquée par le ministre de l'Intérieur, dans laquelle Samuel Paty est traité de "voyou" par le parent d'élève ayant appelé à solliciter le CCIF, ait été considérée comme "manifestement illicite" par Facebook.

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Simple hypothèse, puisque la décision du 18 juin 2020 rendue par Conseil constitutionnel avait purement et simplement censuré ces dispositions phares de la loi Avia. "Compte tenu des difficultés d'appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, (…), les dispositions contestées ne peuvent qu'inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée", expliquait-il.

"La détermination du caractère illicite des contenus en cause (…) est soumise à la seule appréciation de l'administration", déplorait encore le Conseil à propos des contenus liés au terrorisme,  pour lesquels le délai d'une heure ne permettait pas à aux réseaux sociaux "d'obtenir une décision du juge avant d'être contraint de le retirer".

"Facebook et Twitter ne doivent pas servir de bouc émissaire"

L'idée que la loi Avia aurait pu changer le cours des événements fait grincer des dents Éric Morain : "Il faut tout de même avoir beaucoup de cynisme pour dire que la loi Avia aurait empêché l'attentat d'arriver. La suppression en 24 heures n'aurait rien changé : il suffit d'un clic pour enregistrer une vidéo. Dans ces échanges très communautaristes et très connectés, avec des boucles privées sur Telegram ou Whatsapp, on n'a pas besoin des réseaux sociaux, on se les partage très bien sans."

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"Je suis d'accord que c'est une fatwa. Le père auteur de la vidéo sur Facebook n'appelle pas à la fraternité", estime l'avocat. "Pour autant, bien que Facebook et surtout Twitter ne soient pas irréprochables, ils ne doivent pas servir de bouc émissaire et masquer notre propre incurie policière et judiciaire. Que les services de renseignement ne se soient pas plus rapidement inquiétés, ça me paraît grave." La plateforme Pharos, qui permet le signalement de tout contenu illicite en ligne depuis 2009, est complètement débordée : comme le rapporte le site NextImpact, elle a reçu 163.000 signalements en 2018 et 228.000 en 2019, dont plusieurs milliers à propos de contenus terroristes, pour seulement… une trentaine d'agents. "J'ai décidé d'affecter sans délai des renforts au service chargé de surveiller sur les réseaux sociaux l'islamisme radical", a d'ailleurs annoncé ce mardi le Premier ministre.

Laetitia Avia a quant à elle remis l'ouvrage sur le métier : "J'ai présenté un certain nombre de mesures qui prennent en considération ce que le Conseil constitutionnel a évoqué comme difficultés", explique la députée à l'AFP, sans préciser les adaptations qu'elle envisage. Et tant pis si la démarche consistant à confier aux réseaux sociaux leurs propres régulations tout en leur reprochant qu'elles ne soient pas celles souhaitées par l'État peur sembler paradoxal. "On reproche à Twitter d'être son propre shérif, et de ne pas l'être assez en même temps", soupire Éric Morain.

"Les concernés ne se sont pas exprimés sous pseudonymes"

Reste la marotte de la fin de l'anonymat sur les réseaux sociaux, à nouveau brandie par de nombreux représentants de la droite : samedi sur RTL, le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a demandé que le fameux anonymat soit immédiatement levé en cas "d'appel à la haine ou d'apologie du terrorisme". "Il faut s’attaquer à ce qu’il se passe à cause de l’anonymat des réseaux sociaux", a également exigé sur Twitter, le même jour, Jean-Christophe Lagarde, président du groupe UDI à l'Assemblée nationale. Dans une tribune publiée lundi dans Le Monde, le député européen Geoffroy Didier a quant à lui demandé que "les réseaux sociaux recueillent, au moment de la création d'un compte, un scan de la copie de la carte d'identité de son titulaire pour pouvoir l'utiliser en cas de violation de la loi". "L'usage d'un pseudonyme oui, mais l'anonymat complet non", a-t-il scandé.

Des exigences en décalage complet avec le déroulé des faits ayant conduit à l'attentat de Conflans : "Les personnes concernées ne se sont pas exprimées sous pseudonyme, leurs photos de profils les rendaient parfaitement identifiables", constate Éric Morain. Le parent d'élève qui s'était filmé face caméra pour dénoncer Samuel Paty donnait en prime son numéro de téléphone dans la vidéo. Enfin, depuis l'attentat, 80 personnes auteurs de messages de soutien au terroriste ont été interpellées et placées en garde à vue.

Si le délai de réponse des réseaux sociaux pour identifier les personnes publiant sous pseudonyme peut certes être amélioré, la loi de 2004 pour la confiance dans l'économie numérique oblige Twitter, Facebook et consorts à conserver les données permettant de faire tomber le pseudonyme d'un utilisateur. La loi dispose en effet que "les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services (…) détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires."

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Source : Marianne.net:

 

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