Horreur aux Tuamotu - Gambier

Écoutez, je suis Français et donc solidaire de TOUS les Français(es) aussi… Même si ça pourrait paraître loin, il s’agit de la France… Et ce matin, je suis tombé sur cet article, qui dépeint les conditions des tests nucléaires en Polynésie, avec force détails…

Aussi, alors que tous les Polynésiens ont été écartés de toute indemnisation, je pense qu’il est temps pour nous de regarder la réalité en face, ainsi que les facteurs qui pourraient notamment expliquer la réélection dans ce secteur du tristement célèbre, M. Gaston Flosse (UMP)…

Update 11.03.2015 : L'Etat va devoir indemniser une victime des essais nucléaires (Le Figaro)

Update 14.09.2018 : Claude un de nos lecteurs me fait part de cet article intéressant, aussi je vous le mets en lien : Repentance nucléaire ou non M. Macron ? (Agoravox.fr)

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Le premier des 138 essais effectués au total à Moruroa est réalisé le 2 juillet 1966

Les archives de la DIRCEN dévoilent que des populations des îles ont été irradiées lors des essais atomiques aériens

par Vincent JAUVERT

avec encadrés, interviews et commentaires de Tahiti-Pacifique

La triste confirmation est malheureusement tombée : les nombreuses accusations concernant l'irradiation nucléaire de populations îliennes lors des essais atomiques aériens ont été prouvées véridiques grâce à un article de Vincent Jauvert paru dans le "Nouvel Observateur" du 5 février. Quelle tristesse, quelle horreur on ressent à la lecture de ces lignes, surtout lorsqu'on connaît l'innocence et la confiance que les populations des archipels éloignés montraient - et montre toujours - à l'égard des visiteurs. Comment accepter le silence et le mutisme "pour raison d'Etat" de ces militaires d'alors lorsqu'ils se trouvaient face à ces populations ignorantes même de ce qu'est la radiation, lesquelles les accueillaient avec des colliers de fleurs alors même que les radiations pourrissaient déjà leurs îles ? Aussi, pour celui qui est familier avec l'histoire des quarante dernières années, comment ne pas s'indigner, s'insurger vis-à-vis des honteuses campagnes médiatiques de dénigrement et de médisance qu'ont dû subir ceux qui osaient dire la vérité ! Honte à ceux qui ont fait de l'industrie du mensonge leur gagne-pain, honte à un système qui honore le fourbe. Comme nous l'a écrit une dame de Tahiti après avoir lu l'article : « Mon Dieu, pauvres de nous, Tahitiens ». Maintenant que la boîte de Pandore des archives de la DIRCEN a été ouverte, elle ne pourra plus jamais rester fermée. Donc d'autres révélations suivront.É A.d.P.

Le 7 juillet 1966, sur l'île de Mangareva, en Polynésie française, une petite brise d'ouest caresse les cocotiers et, comme d'habitude, les enfants jouent dehors, presque nus. Des militaires les regardent courir, tomber, se rouler dans le sable et ne disent rien. Pourtant ils savent. Ils savent que depuis quelques heures le vent charrie des particules fortement radioactives, que le sol est déjà contaminé, que ces enfants sont en danger. Mais prévenir leurs parents, c'est avouer au monde que le premier essai nucléaire français dans le Pacifique est en train d'empoisonner une île habitée. Alors ces militaires -des officiers et même des médecins- se taisent. Raison d'Etat.

Cette histoire secrète - que nous avons reconstituée grâce aux archives militaires - commence en 1965, avant le premier essai qui eut lieu à Moruroa. Cette année-là, De Gaulle a encore tonné : il veut très vite une force de frappe opérationnelle. Pour lui l'atome ce sera la grandeur retrouvée de la France. Grâce à la bombe, sa voix portera enfin aussi loin - et aussi fort - que celles des deux grands. Grâce à la bombe, il pourra enfin quitter l'Otan, incarner pleinement l'indépendance et la fierté nationales. Rien donc ne doit entraver cette marche forcée vers l'arme absolue. Rien. Surtout pas une campagne antinucléaire, qui pourrait tout retarder. Alors en 1965 l'armée et le CEA, qui viennent de s'installer dans le Pacifique, jurent que les expériences atomiques seront d'une totale « innocuité » pour les populations. C'est faux, et les hommes de la bombe le savent déjà. Dans leurs réunions secrètes, ils répètent que les campagnes 1966 et 1967 seront particulièrement « sales » : ce seront surtout des tirs sur barge - la bombe explosera dans l'atmosphère juste au-dessus de l'eau et le nuage radioactif ainsi créé risquera de contaminer les îles habitées proches du point zéro. Mais, en public, pas un mot. Quatre îles - et 1200 personnes - sont menacées de retombées radioactives : Reao, Tureia, Pukarua et surtout Mangareva, la plus peuplée (600 habitants). Que faire de ces atolls maudits ? Quelques semaines avant le premier tir, la question obsède en secret les patrons de l'arme atomique. La meilleure solution serait d'évacuer tous les habitants la veille de chaque tir, leur explique le service de sécurité radiologique (le SMSR). Mais les hommes de la bombe rejettent cette mesure radicale. Une telle opération - même menée avec discrétion - serait vite connue des médias. C'est hors de question. Conclusion : « L'hypothèse de l'évacuation est exclue pour des motifs politiques et psychologiques. »

« Risque génétique élevé »

Pour des motifs sanitaires, elle serait pourtant amplement justifiée : les spécialistes du SMSR savent que les Polynésiens sont extrêmement vulnérables aux radiations. Ils écrivent : « Cette population présente des caractéristiques particulières [...] : isolement, pourcentage important des moins de 15 ans, des femmes enceintes ou en âge de procréer, des vieillards, fréquence des unions dans le groupe.» Conséquence : « Un risque génétique plus élevé que pour une population européenne de même importance. » Autrement dit, même un niveau d'irradiation faible pour un Européen est dangereux pour les habitants de ces îles. Alors une contamination forte... Comment protéger ces femmes, ces enfants, si fragiles ? Les regrouper avant chaque tir et les « mettre à l'abri dès qu' [il y aura] une menace de retombée ». Où ? « Dans les églises qui peuvent fournir une bonne protection contre l'irradiation la plus élevée des premières heures... » Des églises contre la bombe...

L'accident redouté est inévitable. Les maîtres du feu nucléaire ne connaissent rien à la météo polynésienne, rien aux tirs sur barge. Ils n'ont aucune expérience, aucun appui. Les alliés américains - qui ont pratiqué ces essais très polluants vingt ans auparavant à Bikini - ont refusé de leur expliquer comment limiter les dégâts. La Maison-Blanche a signé le traité interdisant les essais atmosphériques. De Gaulle n'a pas voulu en entendre parler. Alors qu'il se débrouille avec sa « bombinette », a-t-on dit à Washington. Le ministère des armées a bien ordonné au SDECE et au 2e Bureau d'aller outre-Atlantique dénicher des informations sur ce type de tirs, mais les espions atomiques n'ont pas rapporté grand-chose. Alors, sans jamais se l'avouer, on va tirer au juger, ou presque. Ce sera Aldébaran, le premier essai le Pacifique, le premier accident.

« Ministre avisé »

La bombe, d'une puissance de 15 à 20 kilotonnes (un peu plus que celle d'Hiroshima), explose dans l'atoll de Moruroa à l'aube, ce 2 juillet 1966. Vers 16 heures, les premiers télégrammes alarmistes arrivent au P.C. de l'opération, le croiseur De Grasse. Le nuage radioactif est plus concentré que prévu, et surtout il monte moins haut. Les vents de basses couches l'entraînent vers l'île habitée de Mangareva. A 23 heures, il n'y a plus de doute. Une dépêche du responsable de la sécurité de Mangareva indique : « Ministre informé radioactivité non négligeable. Stop. Contamination au sol. Stop. Demande consignes pour décontamination et nourriture. Stop. » Que faire ? Appliquer les directives de sécurité ? Informer les populations, les regrouper dans les églises ? Non, du De Grasse, le vice-amiral Lorain, patron du Groupement opérationnel des Expérimentations nucléaires, ordonne seulement l'envoi d'un bâtiment scientifique La Coquille pour évaluer les dégâts. Une mission ultra confidentielle.

Population insouciante

Le médecin de La Coquille, le docteur Philippe Millon, en raconte les détails dans un rapport classé secret, qui n'existe qu'en deux exemplaires. Dans ce compte rendu, tout apparaît noir sur blanc : le mensonge, le cynisme et l'absurdité. Millon raconte : « "La Coquille" est arrivée dans les eaux de Mangareva, le 5 juillet [c'est-à-dire 3 jours après le tir]. Les premiers résultats positifs [de radioactivité] se sont révélés sur le plancton et sur les poissons. » Le lendemain, le bateau entre en rade de Rikitea, le plus grand village de l'île. « Les comptages ont alors commencé sur les produits de consommation locale. » Résultat: « La salade non lavée :18 000 picocuries par gramme », soit le niveau de contamination des laitues aux alentours directs de la centrale de Tchernobyl le jour de l'accident. Le 8, « après des pluies abondantes pendant douze heures [...], des échantillons de sol prélevés dans les caniveaux comptent 1400 picocuries par gramme », là encore un niveau de contamination très grave. Pourtant « aucune mesure d'interdiction » n'est prise. Surtout n'affoler personne. Ne pas alerter qui que ce soit.

Et ça marche. Le docteur Millon raconte, serein : « La population [...] est parfaitement inconsciente, insouciante et ne manifeste aucune curiosité. Le père Daniel [chef spirituel de l'île] ignore ce que peut être une retombée. Quant aux autres "Popa'a" (Européens) stables de l'île (infirmiers, agriculteurs), ils ne manifestent aucune inquiétude, ne posent aucune question. » Les militaires sont, eux, au courant de la contamination, « sans connaître évidemment pour la plupart les chiffres atteints ». Evidemment. Enfin, le capitaine du service de sécurité, celui qui a alerté le De Grasse, « a parfaitement réagi ». Autrement dit, il a gardé le secret. Néanmoins, « il déplore l'absence de politique franche vis-à-vis de la population, ce qui le place en porte à faux ». Plus précisément ? « Par honnêteté, il s'inquiète pour les gosses du village qui marchent pieds nus et jouent par terre. » C'est apparemment bien le seul à s'en préoccuper.

Pour la suite des opérations, que propose le docteur Millon ? Se débarrasser des poseurs de questions, des empêcheurs de tester en rond. Il faut, écrit-il, « éloigner définitivement de Mangareva le couple d'instituteurs européens indésirables ». Mais, pour les populations « insouciantes », l'évacuation n'est toujours pas à l'ordre du jour. Le médecin suggère seulement que l'on construise des abris. Il sait que des tirs sur barge beaucoup plus puissants sont prévus pour septembre et octobre.

Courant août, des refuges sont discrètement montés à Mangareva - à Tureia et à Reao aussi. Il s'agit de blockhaus en béton et de « tortues » - des sortes de hangars que les militaires utilisaient pendant les essais au Sahara. Ces travaux inquiètent les populations. Le commandant militaire de Reao écrit : « Certains autochtones prétendent que la "tortue" est un piège pour les enfermer, et qu'à la suite de l'explosion de la bombe ils y seront tous tués. » En fait, comble de l'absurdité militaire, ces abris édifiés en catastrophe demeureront, pour la plupart, inutilisés ou s'avéreront de piètres remparts.

En mission à Tureia, un officier de sécurité radiologique explique, le plus sérieusement du monde : « Le blockhaus côté lagon est à vérifier du point de vue de l'étanchéité. Lorsqu'on se trouve à l'intérieur toutes lumières éteintes et portes fermées, on aperçoit la lumière du jour filtrant entre deux blocs de béton. » Conséquence fâcheuse : « Après une nuit de pluie, la moitié de la surface est couverte d'une immense flaque d'eau. »

Or des pluies contaminées, il en tombe à Tureia et à Mangareva dès le 26 septembre. Ce sont même de « nombreuses précipitations fortement radioactives », selon un rapport du chef du service de sécurité. Ce dernier explique qu'il s'agit de retombées du tir "Rigel". Le deuxième tir sur barge qui a eu lieu deux jours auparavant. L'essai était une explosion de 250 kilotonnes, vingt fois Hiroshima. La radioactivité de l'eau de pluie à Mangareva est très inquiétante : 100.000 becquerels par litre, soit le niveau maximum de la contamination des eaux souterraines de Tchernobyl, les jours qui suivent l'accident. Et les réactions des militaires français sont aussi absurdes- et indignes - que celles des apparatchiks soviétiques lors de l'explosion de la centrale ukrainienne. En effet, là encore, « aucune mesure n'est prise, écrit l'officier de sécurité de Mangareva, si ce n'est rassembler les populations à proximité des abris. » Mais il ne les invite pas à entrer. Car, une fois de plus, il doit leur cacher la réalité. L'officier explique : « La chute de pluie radioactive a nécessité un renforcement du secret sur le mesures prises. » Dans la petite île de Tureia, le responsable militaire, lui, a demandé aux femmes et aux enfants de rester dans le blockhaus - fissuré... au moment du tir. Mais, quand les pluies radioactives sont arrivées, il n'a rien dit. Ni aux civils ni aux militaires sur place, ses subordonnés. Il avoue même : « La mesure de contamination du sol n'a pas été faite systématiquement, pour éviter d'affoler le personnel. » Absurde et indigne. En 1967, il n'y a qu'un seul tir sur barge, Arcturus, le dernier de ce type de l'histoire atomique française. Essai de faible puissance, il contamine très peu les îles habitées - sauf Tureia. Là, les retombées secondaires du nuage radioactif arrivent deux jours après le tir, le 4 juillet. Pendant les deux semaines suivantes, les pluies déposent sur le sol une dizaine de curies par kilomètre carré : à ce niveau de contamination, l'armée aurait dû déclarer Tureia « zone à séjour réglementé », c'est-à-dire où le port d'une combinaison de protection est obligatoire, au moins pendant quelques jours. Il n'en a rien été.

Étude mené en 1997

A partir de 1968, les essais sont effectués uniquement sous ballon, une méthode plus « propre ». Puis, de 1974 à la dernière campagne nucléaire, en 1996, il n'y aura plus que des tirs souterrains, encore plus « propres ». Y a-t-il eu, pendant ces dix-huit ans, d'autres accidents, d'autres contaminations ? Impossible de le savoir : seules les archives de 1966 et 1967 nous ont été, un temps, ouvertes. On sait seulement qu'en 1968, quelques jours avant l'explosion de la première bombe H au-dessus de Moruroa, les habitants de Tureia ont tous été invités à quitter leur île et à passer quelques jours à Papeete. Officiellement c'était pour fêter les traditionnelles fêtes de juillet...

Les conséquences sanitaires de ces trente ans d'essais ? Autre mystère. Aussi incroyable que cela paraisse, le ministère de la Santé n'a commencé à constituer un registre des cancers dans les quatre îles habitées qu'en 1984 ! Autrement dit, si à Mangareva ou à Tureia des personnes sont mortes de leucémie ou de tumeur maligne avant cette date, personne ne le saura jamais. Quant aux cancers apparus après 1984, aucune étude officielle ne leur a été consacrée avant l'arrêt définitif des essais, il y a deux ans.

C'est seulement en 1997 que l'armée a accepté de financer une recherche sur le lien entre cancer et essais atomiques en Polynésie française. Des épidémiologistes de l'Inserm en ont été chargés. Ils viennent de remettre leur rapport au patron de la direction des expérimentations nucléaires - un général qui n'a pas encore rendu public ce document fort attendu.

Quels qu'en soient les résultats, les autorités françaises pourraient d'ores et déjà s'inspirer d'une initiative américaine : en 1991, la Maison-Blanche a officiellement reconnu que les essais atmosphériques pratiqués jusqu'en 1962 dans le désert du Nevada avaient irradié les populations voisines du centre d'expérimentation. Le Congrès leur a même présenté ses excuses.

Vincent JAUVERT

in "Le Nouvel Observateur" avec l'aimable permission.

Note : Les titres et intertitres sont de Tahiti-Pacifique

Les archives de la DIRCEN confirment malheureusement ce que nombre de personnes, telles que Bengt et Marie-Thérèse
Danielsson, Francis Sanford, Henri Bouvier et Daniel Millaud ont toujours affirmé. Pour avoir osé dire la vérité, ils ont, pendant
30 ans, été vilipendés, diffamés, salis et ont dû subir des campagnes de médisance, tout cela au nom de la "raison d'Etat".
On nota à Tahiti le "silence-radio" gêné de leurs détracteurs de jadis suite à la publication de l'article du Nouvel Observateur.
Sur le plan local, alors que les langues se délient, seul le président Flosse continua à dénier ce qui est devenu indéniable

« Refermez les Archives ! »

Les documents cités dans l'article du Nouvel Observateur sont tous issus des archives de la DIRCEN (Direction des Centres d'expérimentations nucléaires), l'organisme militaire responsable des essais nucléaires. Jusqu'au 1er décembre dernier, ils étaient consultables au fort de Vincennes, sur simple demande. Depuis cette date, ils ne sont plus accessibles au public : en catastrophe, le Service historique des Armées a refermé ces archives, sur ordre d'Alain Richard, le ministre de la Défense. Comme l'ensemble des archives militaires contemporaines - quels que soient le sujet et la date ! Et la plupart des inventaires d'après 1945 ont été retirés des rayons. Cette fermeture brutale est intervenue au cours et à cause - de notre recherche. Conséquence : notre travail est forcément incomplet, puisque nous n'avons eu le temps d'examiner que la moitié environ des cartons consultables (jusqu'au 1er décembre étaient accessibles les dossiers de plus de trente ans, c'est-à-dire datés au plus tard de décembre 1967).

Que s'est-il passé ? En fait, la grande muette a été prise de panique : jamais des extraits de ces dossiers nucléaires n'ont été publiés dans un journal - les preuves des accidents de surcroît ! Pourquoi alors la Dircen et le Service historique des Armées ont-ils ouvert ces archives ? Une bévue ? Ou pensaient-ils que personne ne viendrait jamais y mettre son nez ? Plutôt des audaces momentanées de type post soviétique. Après la chute du Mur, les archives russes ont parfois réservé les mêmes surprises aux chercheurs : ouverture inattendue puis reclassification brusque de certains fonds. En fait, tout système fermé - comme l'armée française - est organisé autour du secret, et de sa préservation. Lorsqu'il veut s'ouvrir, il ne sait pas quelle limite fixer à la transparence. Et quand il croit être allé trop loin, il reprend les bonnes vieilles habitudes autoritaires : la censure.

V. J.

 

Le Sénateur Millaud :

« Je prépare une question écrite »

« En ce qui concerne l'article, j'ai pris contact -téléphonique- avec l'auteur de l'article paru dans le Nouvel Observateur, M. Vincent Jauvert. Je suis en train de préparer une question écrite car, à ma connaissance, il n'y a eu qu'une seule réaction ministérielle, celle du Quai d'Orsay [ministère des Affaires étrangères]. Je suis surpris du silence du Ministère de la Défense. Dans mon projet de questions écrites, je demande que les archives de l'époque soient de nouveau ouvertes. »

Sénateur Daniel MILLAUD

 

UN « BUREAU D'ÉTUDES » TRES PARTICULIER A PAPEETE

Dans les années atomiques, la Polynésie française avait parfois des airs d'Allemagne de l'Est, le climat mis à part... Comme en RDA, la population était sans cesse espionnée et la censure de règle. Dès 1964, deux ans avant le premier essai, le gouvernement décide d'installer Big Brother a Papeete. Son nom, bien modeste : le « Bureau d'études ». Sa fonction, très large : coordonner l'action de tous les services secrets en Polynésie : les RG, le SDECE, la DST, la sécurité militaire -, dont les effectifs ont tous été fortement augmentés. Le « Bureau d'études » a aussi sous sa responsabilité les centres d'écoutes téléphoniques et radioélectriques qui seront créés quelque temps plus tard. Enfin, c'est lui qui rédige le « Plan de recherches » - autrement dit la bible de l'espionnage intérieur.

La lecture du « Plan de recherches 1966 », année du premier essai, est édifiante. Les barbouzes de l'atome veulent tout, absolument tout savoir. En vrac : les ressources financières des Églises protestantes, les contacts étrangers des mouvements de jeunesse, les problèmes de naturalisation de la minorité chinoise, le train de vie des femmes de ménage, les projets des mouvements autonomistes... Tout y passe. Et tout sera su. Chaque semaine, quelques happy few - le gouverneur, le patron des sites nucléaires, le ministre de la Défense, notamment - reçoivent un « bulletin de renseignements » extrêmement complet sur la vie publique - et privée parfois - des Polynésiens en vue, et des gens de passage. Mais ce n'est pas tout. Le « bureau d'études » est aussi chargé de contrôler de manière très stricte l'activité des journalistes. Ainsi, en mai 1967, une équipe de la prestigieuse émission « Cinq Colonnes a la une » arrive à Papeete. Branle-bas de combat. Le « Bureau d'études » prend en main les reporters, qui interrogent plusieurs opposants aux essais. Très vite, les barbouzes s'inquiètent. Le chef du « Bureau d'études » écrit : « Les intentions du journaliste ne paraissent pas bienveillantes à l'égard de la présence française et du centre d 'expérimentation nucléaire. » Conclusion : « Il serait prudent, à Paris, de censurer l'émission. » Tout simplement.

V.J.

Note de Tahiti-Pacifique : le « Bureau d'études » existe toujours. C'est un de nos fidèles abonnés.

 

« Ouvrez les archives ! »

Lire l'article du Nouvel Observateur a été pour moi un grand mais terrible soulagement. Ces documents révélés par Vincent Jauvert prouvent, sans équivoque, la triste véracité de nos observations et la qualité de nos sources pour nos articles et ouvrages sur ce sujet, si dénigrés par les autorités responsables des essais. Mon seul regret est que mon mari, Bengt, ne soit plus de ce monde. Ce qui m'étonne est la réaction immédiate du ministre de la Défense, probablement sous la pression des militaires, ordonnant de refermer ces archives, alors qu'il aurait pu en profiter pour démontrer une volonté d'éclaircir une fois pour toutes ce lourd dossier qui va traîner comme une "casserole" derrière lui et ses successeurs. Ce qui m'a choquée a été la réaction immédiate du président Gaston Flosse qui, parce qu'il est né à Mangareva, a contredit avec forces toutes les affirmations du journaliste, basées pourtant sur des extraits de textes du SMSR et du compte-rendu d'un médecin militaire.

Il ne faut pas manquer l'occasion qui nous est ainsi donnée pour réclamer l'ouverture officielle de tous les documents concernant les essais nucléaires en Polynésie. Cela a été fait, sans attendre 60 ans, par d'autres puissances nucléaires, plus sensibles à l'opinion de ceux qui ont souffert, souffrent encore et souffriront à cause des essais nucléaires effectués chez eux.

Marie-Thérèse DANIELSSON

Co-auteur de Moruroa, mon amour et de Moruroa, notre bombe coloniale.

 

Baratin officiel : « Retombées bénignes »

« Malgré le luxe de précautions dont les militaires s'étaient entourés pour circonscrire les effets radioactifs des tirs aériens, le risque de retombées sur les Gambier subsistait. Retombées assurément bénignes mais auxquelles on ne pouvait exposer la population dans le climat irrationnel engendré par tout ce qui touche au nucléaire. On n'y est pas allé par quatre chemins ! Un abri anti-atomique capable d'héberger 600 personnes plusieurs jours durant a été construit »

Extrait du manuel d'école "Mangareva et les Gambier", par l'amiral (!) François Vallaux, ministère de l'Education de P.F., 1994.

 

La Bombinésie française

par Henri BOUVIER

La publication, le 5 février dernier, par le Nouvel Observateur, de documents provenant des archives de la Dircen (Direction des centres d'Expérimentations nucléaires) semble avoir suffisamment ému l'opinion métropolitaine pour amener le ministère de la Défense à rétablir le secret qui venait d'être levé sur une partie des archives en question.

A Tahiti, les exemplaires de cette revue se sont arrachés. Ce succès se comprend : pour la première fois, des documents d'une indiscutable authenticité révélaient au grand public dans quel "esprit" le CEP (Centre d'expérimentation du Pacifique) a procédé à ses criminels essais afin de pouvoir les poursuivre jusqu'à leur terme en toute tranquillité, gardant secrètes ses mesures de la radioactivité induite dans le milieu naturel.

De passage à Paris, Gaston Flosse est monté au créneau. Nous l'avons tous vu et entendu à la télé essayer de "démentir" les informations du Nouvel Observateur en relevant certaines prétendues erreurs de l'auteur de l'article concernant ses descriptions du climat et de la météo de Mangareva et, faisant l'amalgame entre la rédaction de l'article et celle des archives de la DIRCEN, il conclut rapidement : « Tout cela n'est que mensonges. » (É)

Qui a menti ? Les archives de la Dircen (à usage interne) ou le gouvernement du général De Gaulle qui nous assurait que les essais du CEP seraient totalement "propres" et qu'au cas où la moindre pollution radioactive en résulterait, il les cesserait aussitôt ? Les révélations du Nouvel Observateur nous prouvent bien que les "assurances" de De Gaulle et de ses atomistes n'étaient que de grossiers mensonges destinés à endormir la confiance du peuple polynésien afin qu'il ne s'oppose pas massivement à l'empoisonnement atomique de son pays.

Elles prouvent aussi combien notre lutte opiniâtre contre le CEP était justifiée et combien, aujourd'hui, elle mérite d'être rappelée.

Etant le dernier survivant des premiers opposants au CEP, je crois avoir le droit et le devoir d'évoquer ici certaines épisodes de cette lutte, en hommage à la mémoire de ceux dont je fus le compagnon à la pointe du combat.

Ce fut, d'abord, le député John Teariki qui s'opposa, dès l'origine, au CEP. Ses interventions à l'Assemblée nationale lors de l'examen annuel du budget des armées furent autant de protestations solidement documentées contre l'installation et les activités du CEP.

Ses appels à la conscience nationale et internationale lui valurent le soutien d'hommes tels que le biologiste Jean Rostand, le docteur Albert Schweitzer, Alain Bombard, le professeur Théodore Monod de l'Académie des Sciences et de bien d'autres sommités morales et scientifiques.

Le 7 septembre 1966, le Président De Gaulle, en visite officielle à Tahiti, reçut en audience protocolaire le député John Teariki.

Mettant à profit cette occasion unique de dire, en tête à tête, au chef de la 5e République tout ce qu'il pensait du sort que subissait la Polynésie du fait de sa politique, il lui fit une longue déclaration dont voici quelques extraits :

« Aujourd'hui, vous revenez chez nous, en votre qualité de Président de la République, pour assister à l'explosion expérimentale de la plus puissante bombe atomique que la France ait jamais réalisée. C'est dire combien votre second voyage en Polynésie française diffère, par ses buts, par les conditions dans lesquelles il se déroule, comme par les sentiments qu'il nous inspire de ce que fut notre première rencontre. » (É) « Aucun gouvernement n'a jamais hésité à faire supporter par d'autres peuples -et de préférence par de petits peuples sans défense- les risques de ses essais nucléaires les plus dangereux :

- Les Américains réservèrent les retombées lourdes de leurs plus grosses bombes aux habitants des îles Marshall ;

- Les Anglais aux Polynésiens habitant les îles équatoriales les plus proches de Christmas ;

- Les Russes aux quelques peuplades du Grand Nord ;

- Les Chinois aux Tibétains et aux Mongols ;

- Les Français aux Africains d'abord et à nous maintenant. »

« Mais je ne puis m'empêcher de vous exprimer, au nom des habitants de ce Territoire toute l'amertume, toute la tristesse que nous éprouvons de voir la France, rempart des Droits de l'Homme et patrie de Pasteur, déshonorée par une telle entreprise, faire ainsi partie de ce que Jean Rostand appelle le "gang atomique". »

Quatre jours plus tard, le 11 septembre 1966, De Gaulle présidait, à bord du croiseur "De Grasse", à l'explosion, à Moruroa, de "Bételgeuse", bombe de 20 kilotonnes (É)

Dès 1968, Francis Sanford, successeur de John Teariki à l'Assemblée nationale, entra, lui-aussi, dans la lutte contre le CEP. De sa rencontre, à Paris, avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, naquit l'idée de coordonner la lutte des "Français contre la Bombe" avec la nôtre.

C'est ainsi que, le 23 juin 1973, une manifestation de plus de 7000 personnes conduite par Pouvanaa a Oopa, Francis Sanford et John Teariki entourés de Jean-Jacques Servan-Schreiber, du Révérend père Charles Avril, du Pasteur Richard-Mollard et de plusieurs députés métropolitains se tint à Papeete, tandis qu'à Moruroa, le général de Bollardière et quatre autres personnalités françaises se faisaient arraisonner puis arrêter par la Marine nationale à bord d'un voilier, le "Fri", venu protester contre les essais du CEP.

En 1974, les "Français contre la Bombe" publièrent un livre, Le Bataillon de la Paix dans lequel les participants aux manifestations de 1973 écrivirent chacun un chapitre. Francis Sanford, sous le titre « Tahiti malade de la bombe » y exposait « comment cette légendaire Polynésie est devenue la trop réelle, la trop actuelle Bombinésie française. » En 25 pages d'un vigoureux réquisitoire, il fit l'historique de l'installation du CEP dans notre Territoire, depuis les premières rumeurs ayant alerté notre Assemblée territoriale, puis l'audience accordée, le 3 janvier 1963, à l'Elysée par De Gaulle à une délégation de l'Assemblée territoriale à laquelle le général annonça ex-abrupto, sa décision de créer à Moruroa un site d'essais nucléaires. A leur retour, les délégués, rendant compte de leur mission déclarèrent à l'Assemblée : « Nous avons été purement et simplement informés. Il ne nous a pas demandé notre avis. Il a décidé », une attitude bien caractéristique de la démocratie gaullienne.

Et Francis Sanford concluait : « C'est pourquoi, sûrs de la légitimité et de la primauté de nos droits de Polynésiens sur la Polynésie, ne désirant que vivre libres et heureux chez nous sans nuire à personne, qu'assurer à nos enfants l'avenir le meilleur possible sur la terre de leurs ancêtres, nous poursuivrons jusqu'au bout - et avec l'aide des gens de cÏur - le combat pacifique qui libérera notre pays de la domination de la bombe. »

Ce message de Francis n'est-il pas toujours d'actualité, même après le CEP, alors que nous subirons, longtemps encore, les conséquences physiques, morales, sociales et économiques de son intrusion ?

Henri BOUVIER

Conseiller territorial 1967-77, beau-frère de John Teariki, attaché de Cabinet de Francis Sanford, 1977-80,

créateur du centre des Metiers d'art de Polynésie française.

 

Gaston Flosse :« Il ne faut jamais parler de ces choses là ! »

aA la Présidence de Tahiti, fin 1994, le président Flosse tenait réception pour honorer le livre scolaire "Mangareva et les Gambier" écrit par l'amiral Vallaux. Tahiti-Pacifique, alors encore accepté au gouvernement, eut l'honneur de partager la table de Président avec l'adorable miss Gambier et M. Lucas Paeamara, maire des Gambier.

Lors du dessert, M. Flosse quitta la table pour parler aux autres invités. Je posais une question à M. Paeamara :

« Il est connu que les Gambier ont un nombre anormal d'enfants nés handicappés. Deux théories essaient d'expliquer ceci : selon certains, ce serait dû à la consanguinité, puisque le Père Laval cachait les jeunes femmes dans le couvent lors de passage de navires. L'autre théorie avance que ce serait dû aux retombées des essais nucléaires. Quel est votre avis ? »

-« J'ai aussi un enfant handicappé» avoue le maire à ma grande surprise, « mais la raison est que ma femme a mangé du poisson ino (empoisonné) lors de sa grossesse, du poisson qui donne la "gratte" (ciguatera). Tu sais que tout le lagon souffre de cela.»

A ce moment, M. Flosse revient à la table en disant :

« De quoi parlez-vous ? »

Je répète la question et la réponse de M. Paeamara.

Président, très fâché, se tourne vers le maire et lui dit, sévère, :

« Je te l'ai déjà dit, il ne faut jamais parler de ces choses là ! »

A.d.P.

 

Quatre ans plus tard : « Une étude médicale pour tous les habitants des Gambier »

"Les révélations du Nouvel Observateur ont soulevé l'inquiétude : « S'il y a eu des retombées radioactives, il faut que l'information soit confrmée. Si tel est le cas, je vais demander au haut-commissaire de la République que soit mis en place un suivi médical pour chaque habitant des Gambier », explique Lucas Paeamara, le maire."

Extrait des "Nouvelles de Tahiti", 20/2/98

 

Les derniers irréductibles

Les réactions à cet article : Une dépêche de l'AFP : « Le gouvernement français a réaffirmé vendredi "l'effort de transparence sans équivalent", de la France en matière nucléaire, "l'innocuité de ses premiers essais dans le Pacifique", après la publication d'un article de presse affirmant que des îles habitées ont été contaminées. « L'ensemble des missions scientifiques conduites dans la région ont conclu l'innocuité des essais nucléaires français. L'effort de transparence de la France sur ce problème est sans équivalent », a affirmé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Anne Gazeau-Secret [la bien nommée] « La situation radiologique de la Polynésie française fait l'objet d'une surveillance régulière de l'Institut de protection et de propreté nucléaire ».

N.d.l.r. : Oh, la superbe langue de bois : oser parler d'« effort de transparence sans équivalent » alors qu'on referme les archives ! Aussi, pourquoi les Affaires étrangères réagissent-elles à la place du ministère de la Défense, lequel maintient un silence apparemment gêné.

Puis il y eut la réaction de Gaston Flosse, en visite à Paris, qui déclara aux médias : « C'est impossible ! Les vents dominants à cette époque soufflent du sud, viennent de l'antarctique (É) Je n'ai jamais entendu dire qu'il y a eu le moindre Mangarévien qui ait été contaminé. Tout cela ce sont des mensonges éhontés, grossiers ! » (interview RFO Paris)

Hélas pour Président, il est prouvé que les militaires attendaient les vents d'ouest pour effectuer leurs tirs aériens :

« Lors du tir Encelade du 12 juin 1971, effectué en présence de journalistes, le vice-amiral Iehle, commandant le Groupement opérationnel des expérimentations nucléaires, a déclaré : « Lorsque le principe d'une expérience &emdash;d'un "tir", est décidé, on interroge les météorologistes. Ceux-ci, 48 heures avant la date retenue, donnent le feu vert. Oui, on pourra "tirer", les vents sont propices et promettent de souffler dans la bonne direction, vers I'est où il n'y a rien, que l'océan, sur des milliers de kilomètres. Les limites à ne pas dépasser suivent le dessin du fameux bouchon de champagne. »

Extrait de "Encelade comme si vous y étiez", La Dépêche de Tahiti", 16/6/71.

N.d.l.r.: Et les habitants de Tureia, Mangareva, etc, c'est "rien" ?

Le général Boileau :

Moins hypocrite, il confirme l'authenticité des documents et accuse les archivistes : « On peut supposer que les phrases entre guillemets sont extraites de documents que le journaliste a réellement lus. (É) La loi de 1979 clarifie les délais à partir desquels les archives peuvent être consultées. Il est de trente ans lorsque les informations ne mettent en cause aucune personne physique ou des opérations et incidents ayant trait à la Défense nationale. Si tel est le cas, les archives ne peuvent être consultées qu'après soixante ans. Pour le sujet en question, les personnes chargées des archives n'ont sans doute pas classé correctement les documents entre ce qui relevait des trente ans et ce qui impliquait les soixante ans. Or, selon la loi, si un seul papier ne peut être consulté, c'est tout le carton qui voit son délai reporté »

Extrait de "La Dépêche de Tahiti", 17/2/98

 

Le gendarme de Mangareva raconte

Nous avons retrouvé Wilfrid TETUANUI, gendarme de 1964 à1968 à Mangareva (Gambier), dans la vallée de la Punaruu.

Voici son témoignage ;

Wilfrid Tetuanui : Je suis arrivé en 1964 à Mangareva avec ma famille, trois enfants. On péchait, on mangeait des légumes, du poisson, de tout. Les poissons qui étaient connus à Tahiti pour être empoisonnés n'étaient pas empoisonnés à Rikitea, comme les "tonu", les "napoléons" qui sont empoisonnés à 100% ici, mais pas là-bas. Alors tout le monde péchait, tout le monde mangeait des légumes. Et en 1966, voilà un groupe, il y a le ministre Biop avec toute sa suite qui sont venus aux Gambier justement pour la première explosion aérienne. Malheureusement, ça a traîné un peu à cause de la météo, ça n'allait pas. Alors, qu'est-ce qu'on fait, moi, je les fais balader dans le lagon, la plonge, les coquillages, pendant quatre jours. Et voilà, c'est en juillet, c'était pendant les vacances justement, et voilà l'explosion, vers 8h du matin, je crois. C'est impressionnant quand même.

Tahiti-Pacifique magazine : Vous avez entendu le bruit ?

WT : Non, pas spécialement le bruit, plutôt le souffle. On sentait ce truc là. Très peu de bruit, je peux dire parce que c'est de l'autre côté plutôt le côté Taku de l'île qui est bien en face de Moruroa Vous voyez, ça n'allait pas très bien entre eux. Je ne sais pas ce qu'il se passait.

TPM : Et qui était là ?

WT : Il y avait Biop, quelques conseillers territoriaux, des gars du côté du gouvernement, bien sûr, il y avait un avion, un Catalina. Ça n'allait pas trop bien, on sait qu'il y a quelque chose, mais on n'osait pas dire. Il était deux heures de l'après-midi le jour même, comme j'ai tellement fait balader ce M. Biop, il m'avait proposé si je n'avais rien besoin à Papeete. Non, non. Et puis, il insistait. Je lui dis : « Si je peux, pendant les vacances, je peux envoyer ma femme, ma famille à Tahiti. » Ah oui, pas de problème. Bon, ma femme a pris le même avion, le Catalina, et les enfants. Malheureusement, le soir même, on a reçu un message chiffré pour moi. Je n'ai pas été assez diplomate, évacuer ma famille, vis-à-vis de la population, ça la fout mal, quoi. Mais pas méchant. Bon, voilà l'explosion. En vivant dans l'ignorance, la population, comme on dit, s'en fout. Ils continuent leur vie normale. Nous, on continue aussi notre vie normale, on allait toujours à la pêche. Et puis, je ne sais pas si c'est un mois ou deux mois après, et voilà que les bigorneaux rouges, les jolis bigorneaux de Mangareva [turbo tapissier], ont tous crevés. D'après les Mangaréviens, c'est la première fois que ça arrive que les bigorneaux crèvent comme cela, la première fois. Pourquoi ? Nous, on allait les ramasser, ils sont tellement joli. Allez savoir pourquoi ? Donc, on continue toujours notre vie normale sans se soucier du mal, de la contamination.

TPM : Il y a des gens qui en ont parlé ?

WT : Non, personne. Ensuite, les militaires sont en train de construire un abri, un genre d'abri sur le terrain de M. Francis Sanford, un abri en bâche. Ah oui, en bâche, bien bien, avec quelque chose de mille mètres carrés, je crois que la population peut rentrer dedans. Dans cet abri, il y avait des compartiments qu'on a fait pour chaque famille, avec des sacs de sable, pour les séparations. Mais alors je suis rentré dedans juste par curiosité, quelle chaleur, un vrai sauna.

Puis voilà l'administrateur Damery qui arrive avec d'autres gens du CEP. Grand rassemblement, alerte générale au "fare hau" (à la mairie). La mairie est assiégée, alors il y avait deux ou trois bateaux militaires qui mouillaient au lagon. Il me semble bien, il y avait un avion aussi là-dessus.

TPM : C'est quand ?

WT : Oui, je ne peux pas dire le mois, mais la même année, quelques mois plus tard. Bon, la première réflexion du maire, chef du district en ce temps, il avait carrément demandé à l'administrateur pourquoi cette réunion d'urgence. « Dis-nous ce qu'il se passe ? » Il se doutait de quelque chose. « S'il y a des retombées, dis-nous. Il ne faut pas cacher. » Alors l'administrateur a répondu, « Non ce n'est qu'un exercice.» Finalement, on n'est pas rentré dans l'abri. Non et non.

TPM : Même lorsqu'il a été en métal ?

WT : Non plus. Non on n'est pas du tout rentré. C'est après le métal.

TPM : Combien d'années ?

WT : Enfin, je crois quand il y a eu le deuxième essai, ils étaient en train de construire le blockhaus en métal. Mais personne n'a été dedans pendant les deux essais. Je dis ce que j'ai vu. Alors, chacun est rentré chez soi, une fois terminée la réunion, c'est par là que les gens commençaient un peu à avoir des soucis, c'est là. Ils se demandaient toujours, même ils me demandaient à moi, « mais M. Tetuanui, est-ce qu'on est en danger ?». C'était clair, je ne connais rien non plus. Quelques semaines peut-être après, voilà un bateau qui nous a amené un grand genre de container [N.d.l.r. : un "caisson" pour contrôler la glande thyroïde*]. Tout le monde passait là-dedans pour la radioactivité, je crois, toute la population, tout le monde. Mais, on ne sait pas les résultats s'il y a quelqu'un qui a été contaminé ou pas du tout, pas de nouvelles à ce point là.

TPM : Y a-t-il eu des enfants malades ?

WT : Oui. Quelques enfants malades, évacuations sanitaires, ça c'est sûr, les nouveau-nés surtout. Il y a eu quelque chose que je n'ai pas compris parce qu'on avait un infirmier, un local, M. Bruno Schmitt, il est Mangarévien. Pendant cette maladie qui circulait sur les gosses, on l'a remplacé. On l'a ramené à Tahiti. Je ne sais pas ce qui se passe. Il a dû raconter quelque chose, allons savoir. Il a été remplacé par un infirmier, un sergent de service qui s'appelait Durand, un popa'a, un infirmier militaire. Donc, pour dire qu'il y avait eu des morts, ou quoi encore, non. Mais il me semble aussi qu'il y avait eu un ralenti -il me semble bien- des commandes de légumes, parce que c'était Rikitea qui fournissait en légumes Moruroa et Hao. Il me semble, si mes souvenirs sont bons, il y avait eu un ralenti, on ne sait pas pourquoi.

TPM : Tu as quitté les Gambier en 1969 ?

WT : En 1968. Voilà un peu les faits que je peux dire. Alors en 1972 j'ai été muté aux Marquises, et voilà que je rencontre un Mangarévien avec qui j'allais souvent à la pêche depuis 1964. Alors je l'appelle : « Honorato, comment va notre pays là-bas ? » Il me dit : « Tu sais Wilfrid, c'est complètement foutu. Nous ne pouvons plus manger de poissons et tout est empoisonné. Tous les poissons qu'on allait pêcher, les bons poissons pourtant, on ne peut plus manger de poissons.» Alors, je lui dis : « C'est dû à quoi ? » Et il me dit la vérité, « Ben carrément à cause de cette bombe atomique.» C'est un peu bizarre aussi, pourquoi tout d'un coup les poissons sont empoisonnés, mais alors tous.

TPM : En 1968, as-tu vu des naissances d'enfants malformés ?

WT : Non, pas que je sache

Propos recueillis le 18/2/98

par Alex W. du PREL

(*) : Les résultats de ces examens médicaux doivent donc se trouver dans les archives de la DIRCEN. Qu'attend-on pour les publier, puisque tout est si "propre" ?


Tahiti-Pacifique magazine, n° 83, mars 1998

 

Source : Tahiti-pacifique.com

Informations complémentaires :

 
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Polynésie Française
 

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