Des chercheurs mettent au point un dispositif pour recycler le CO2 à grande échelle (Sciences & Avenir)

Les récents travaux d’électro-chimistes français et canadiens laissent entendre qu’une partie de nos rejets annuels de dioxyde de carbone, un gaz considéré comme le principal responsable du réchauffement climatique, pourrait un jour être recyclée en "carburant vert".

CO2
La centrale thermique de Niederaussem, en Allemagne.
CHRISTOPH HARDT/GEISLER-FOTOPRESS/DPA PICTURE-ALLIANCE

Il y a un peu plus d'un siècle, parvenir à fabriquer de l'or comptait parmi les plus grands fantasmes des chimistes. À l'heure où la planète surchauffe, certains rêvent désormais de recycler à grande échelle le dioxyde de carbone (CO2), gaz à effet de serre rejeté en masse dans l'atmosphère par l'activité humaine et qui compte parmi les principaux responsables du réchauffement climatique.

Des méthodes de réutilisation du CO2 comme matière première, il en existe déjà. Les pétroliers s'en servent pour faciliter l'extraction dans les gisements d'hydrocarbures, quand l'industrie agro-alimentaire, elle, l'utilise comme fertilisant agricole. Malgré tout, sur les 18 milliards de tonnes de CO2 rejetées chaque année par l'industrie – sur un total de 36 milliards –, seul 1% environ est réemployé. Pourquoi une si faible proportion, lorsque l'on sait que la réutilisation de ces rejets créerait un cercle vertueux tant pour les entreprises que pour la planète ? Plusieurs raisons l'expliquent : d'abord parce qu'il n'existe à l'heure actuelle pas de procédé de recyclage du dioxyde de carbone à une échelle suffisamment grande, autrement dit susceptible d'intéresser les industriels. Ensuite parce que la transformation du CO2 en matière première ne pouvait jusqu'ici être réalisée sans l'emploi de catalyseurs basés sur des métaux rares et précieux. Une manœuvre trop peu rentable et trop chère, en somme.

Mais des chercheurs du Laboratoire d'électrochimie moléculaire (Université de Paris et CNRS), en collaboration avec une équipe canadienne de l'Université British de Columbia (UBC), à Vancouver, ont annoncé avoir surmonté ces deux problématiques : le 25 juillet 2019, dans la revue Science, ils détaillent comment ils ont réussi à transformer dans de grandes quantités du dioxyde de carbone en monoxyde de carbone (CO), une "brique essentielle de l'industrie chimique", en se passant de ces fameux métaux rares. "On avait déjà démontré en 2012 qu'on pouvait recycler le CO2 dans des conditions assez simples avec des matériaux économiques", explique Marc Robert, co-auteur de l'étude. "Mais nous ne savions pas encore réaliser ce processus à grande échelle."

Du CO2 capté directement à la sortie des usines

Un processus à la simplicité (apparente) frappante : le CO2, injecté avec de l'eau dans une petite cellule d'électrolyse dotée d'un pôle positif et d'un pôle négatif, ressort après passage d'un courant électrique, sous forme d'oxygène et de monoxyde de carbone, qui est ici le produit de réduction du CO2. "Pour transformer le CO2 en quantités importantes, il faut normalement des nanoparticules d'or ou d'argent, ce gaz étant très inerte. Durant toutes ces années, on a beaucoup travaillé pour mettre au point une cellule capable d'assurer un meilleur rendement et de fonctionner avec des matériaux peu onéreux, comme la phthalocyanine de cobalt, un catalyseur moléculaire largement disponible", confie Marc Robert. Aujourd'hui, leur cellule pilote de laboratoire, dont la surface active ne mesure pas plus d'1 centimètre carré, est capable de produire 1 litre de CO par jour. "Avec une cellule d'une taille d'1 mètre carré, on pourrait produire 10.000 litres de CO par jour", assure le chimiste.   

Eau, électricité, cobalt… Des éléments abondants ou renouvelables peuvent donc désormais suffire à la fabrication de ce monoxyde de carbone, "qui peut lui-même être transformé en carburant liquide ou gazeux, comme le méthane, qui n'est autre que le gaz naturel utilisé pour chauffer les habitations ou faire rouler des bus", poursuit le chercheur. Grâce à ce dispositif, le CO2 devient alors une matière première renouvelable, transformé en CO grâce à de l'électricité elle-même renouvelable. Ou comment inclure le CO2 dans une économie circulaire, "un cercle vertueux".

Concrètement, le CO2 ne serait pas puisé dans l'atmosphère – où il est trop peu concentré – mais directement à la sortie des cheminées des usines. Reste malgré tout à fabriquer des transformateurs de grande taille, "une nouvelle étape qui ne présente pas de difficulté fondamentale, si ce n'est l'implication forte de partenaires industriels pour les développer et réaliser les investissements nécessaires", précise Marc Robert. À ce jour, l'équipe de chercheurs a déjà signé un premier contrat avec le géant français Air Liquide, spécialiste des gaz industriels.

Une découverte "qui ne sauvera malheureusement pas la planète"

Si l'avancée de Marc Robert et de son équipe apparaît comme lueur d'espoir, il tient à souligner qu'elle n'aura en revanche rien d'une baguette magique. "Il faut bien garder à l'esprit que nous ne sommes pas en train de résoudre la question du climat, qui est avant tout un problème sociétal. Nous ne faisons que rationaliser notre utilisation des ressources de la nature, qui ne peut plus suivre notre rythme d'exploitation. Il faudra bien de toute façon changer la manière dont on mange, dont on se déplace, dont on part en vacances…"

Qui plus est, l'urgence est bien trop grande : il faudra compter "environ dix ans", selon Marc Robert, pour que les électrolyseurs à CO2 trouvent leur place sur la plupart des sites industriels. "Et même s'ils venaient à être développés à une échelle internationale, ils ne seraient pas en mesure de recycler 18 milliards de tonnes de CO2. C'est beaucoup trop."

Selon des scientifiques interrogés par la BBC, il ne resterait que 18 mois pour effectuer une transition écologique durable et éviter ainsi la catastrophe climatique. Le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) de 2018, lui, stipule que les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de 45% d'ici à 2030. Pas de quoi attendre que la chimie vienne faire le travail à notre place.

 

Source : Sciences & Avenir

 

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