Un très bon article de Yves Faucoup sur Médiapart, un point à mon sens qu'il faut mettre en avant afin de briser les tabous est le suivant :
« Le groupe qui a traité ce sujet reprend diverses études sur le non-recours (des personnes ne demandent pas l’aide à laquelle ils ont droit, soit par ignorance, soit par refus de solliciter une aide perçue comme un secours). Il rappelle que pour le RSA le montant non perçu est de 5,2 milliards d’euros. »
Amicalement,
F.
Les textes préparatoires à la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui se tient à Paris les 10 et 12 décembre, sont riches, très documentés (parfois presque trop copieux sur l’état des lieux), et fourmillent de propositions. Sept groupes ont été constitués selon diverses thématiques (1). Parmi les présidents de groupe, des personnalités reconnues et de haut niveau : Bertrand Fragonard, Jean-Baptiste de Foucauld, Dominique Versini, Michel Legros, François Soulage, Michel Dinet et Michel Théry. Et les membres sont des acteurs du social très diversifiés (associations, départements, chercheurs), y compris des usagers, membres du 8e collège du Conseil national des politiques de lutte contre les exclusions (CNLE), collège constitué uniquement de personnes en difficulté sociale.
La peur de la pauvreté :
Le Premier ministre doit clôturer les travaux de la conférence : il a déjà indiqué qu’il veillerait à « une meilleure gouvernance des politiques sociales, qui souffrent cruellement d’un déficit de cohérence et de lisibilité ». Marisol Touraine et Marie-Arlette Carlotti, ministres, ont d’emblée précisé qu’« en stigmatisant les plus vulnérables et en opposant les uns aux autres avec le discours sur l’assistanat, la politique de nos prédécesseurs a échoué ». Il est particulièrement réconfortant de voir que des responsables politiques affichent clairement leur opposition à ce discours que je qualifierai de « racisme social » qui a tenu lieu (et tient encore lieu) d’orientation politique pour certains. Un bémol : je ne crois pas que leurs politiques aient « échoué », car je ne suis pas certain qu’elles avaient véritablement pour volonté la réduction de la pauvreté.
Les deux ministres affichent leur objectif de « replacer les enjeux de la solidarité au cœur des politiques publiques » en vue d’apporter une « réponse globale et durable aux inégalités ». Elles prennent en compte le fait que « la peur de la pauvreté touche une large majorité de nos concitoyens ».
Il n’est pas possible ici de décrire et commenter la totalité des documents (462 pages) accessibles sur le site du ministère (2). Je survole les propositions de six groupes et je commenterai plus particulièrement le texte de l’atelier sur l’accès aux droits et les minima sociaux.
Les propositions :
Pour ce qui concerne le logement, le groupe propose la construction de 500 000 logements par an (dont 150 000 logements sociaux) et milite pour l’amélioration de l’accès au logement. Il incite les travailleurs sociaux à « aller vers » les personnes en difficulté, et ne pas attendre qu’elles les sollicitent (vieux débat).
Le rapport sur l’accès à la santé, outre l’optimisation des dispositifs existants, prône la création d’un service public local de l’accès à la santé pour tous, regroupant tous les intervenants ainsi que l’extension de la CMU et de la CMU complémentaire.
Le groupe emploi expose plusieurs mesures améliorant l’accès à l’emploi et compte impliquer les entreprises dans cette démarche : « Orienter la responsabilité sociale de l’entreprise vers la prévention et la résorption du chômage de longue durée et la lutte contre la pauvreté. » Il propose une augmentation de la cotisation des fonctionnaires à l’assurance-chômage, de 1 à 2,4 % pour être au niveau des salariés du privé. Il défend l’idée que l’allocataire du minimum vieillesse puisse cumuler cette « retraite » avec un emploi (c’est actuellement impossible pour les plus démunis, alors que c’est autorisé pour tous les bénéficiaires d’une retraite, et, j’ajouterai, que des médecins ont réclamé récemment de négocier des avantages supplémentaires spécifiques pour favoriser leur maintien en activité tout en touchant leur retraite). Ce groupe de travail fait une proposition étonnante : « Si dans deux ans, les mesures précédentes n’ont pas suffi à améliorer significativement l’accès à l’emploi des personnes en situation de pauvreté et à réduire le nombre des allocataires du RSA socle », il faudra mettre en place « un principe d’embauche d’une proportion déterminée de chômeurs de longue durée par les administrations et les entreprises, sous peine du versement d’une taxe dont le produit serait affecté au financement de contrats aidés ou d’aides à l’insertion ». Il propose enfin une participation forte des usagers dans de nombreuses instances qui les concernent et où ils ne sont pas, à ce jour, représentés.
Le groupe familles vulnérables insiste sur la question des enfants pauvres, sacrifiant à un discours dans l’air du temps : comme si la situation de l’enfant pauvre serait plus choquante socialement que celle de la femme pauvre, de l’homme pauvre (et du vieillard pauvre). Par ailleurs, il considère qu’il n’est pas possible, pour l’intervenant social, éducatif, médical ou autre, d’agir en faveur de l’enfant « en faisant abstraction des parents ». Mine de rien, c’est rassurant que ce principe soit affirmé : tant de débats ont opposé les tenants d’une mesure éducative auprès des enfants et ceux qui estimaient qu’elle devait prendre en compte toutela famille. Il reste à convaincre l’opinion publique, prompte à condamner ces maudits travailleurs sociaux qui, dans le cadre de la protection de l’enfance, osent respecter les parents et les écouter.
Le groupe inclusion bancaire et lutte contre le surendettement liste plusieurs mesures techniques pour un accompagnement plus efficace des personnes surendettées.
Le groupe gouvernance des politiques de solidarité défend l’idée que la lutte contre la pauvreté soit intégrée dans une approche de développement social. Il insiste sur la nécessité de faire participer les usagers (en citant beaucoup d’exemples, mais en oubliant ce que la loi a prévu dans le cadre du RSA et que de nombreux départements expérimentent). Enfin, il souhaite que le Département soit considéré comme le chef de file du développement social territorialisé au-delà de ses compétences propres.
Accès aux droits et minima sociaux :
Le groupe qui a traité ce sujet reprend diverses études sur le non-recours (des personnes ne demandent pas l’aide à laquelle ils ont droit, soit par ignorance, soit par refus de solliciter une aide perçue comme un secours). Il rappelle que pour le RSA le montant non perçu est de 5,2 milliards d’euros. A mon sens, il faut davantage rendre public ce chiffre que les médias et les responsables politiques ont tu parce qu’il en dit long sur les prétendus abus aux prestations sociales et que, si le droit était appliqué, cela aurait des conséquences considérables sur les finances publiques. Pour la CMU, ce non-recours équivaut à 330 millions, pour la PPE à 232 millions minimum, soit un total de plus de 6 milliards d’euros ainsi économisés par les pouvoirs publics au détriment des populations les moins favorisées.
Le groupe fait des propositions pour améliorer le recours, en simplifiant par exemple l’accès au RSA. Est suggérée l’utilisation paradoxale du RNCPS (répertoire national commun de la protection sociale), créé, en fait, pour lutter contre la fraude et qui servirait ici à repérer des ayants-droit ignorés. Ainsi qu’une information du grand public (éducation nationale, médias). Le groupe n’est pas favorable à une indexation du RSA sur les prix (il progresse de ce fait trop lentement) mais en partie sur la richesse du pays et souhaite la prise en compte d’un « reste à vivre ». A la lecture du rapport, on mesure les craintes des auteurs sur les conséquences d’une amélioration, souhaitée, du montant du RSA. Le Haut Conseil de la Famille a évalué, par exemple, à 13,9 milliards d’euros l’indexation des prestations sociales sur les salaires (et non sur les prix) à l’horizon 2025. C’est pourquoi le groupe ne retient pas cette solution, tout en reconnaissant que le RSA « ne permet pas aux allocataires de vivre dans des conditions décentes ». Il ne retient pas non plus le principe, défendu par le CNLE, de faire progresser le RSA de 25 % en cinq ans (coût : 3,1 milliards d’euros). Sa proposition de revalorisation progressive du RSA (sur 5 ans) consiste à le lier au SMIC selon le ratio en vigueur lors de la création du RMI en 1988, soit 43 % (et non pas 50 % comme beaucoup l’ont affirmé mais que les auteurs contestent). Et cette revalorisation se ferait en économisant sur la prime de Noël (versée aux bénéficiaires du RSA depuis 1998, sous Lionel Jospin). Il hésite sur le maintien du RSA activité ou l’extension de la Prime pour l’emploi (PPE).
Faute de temps, le groupe n’a pu étudier les autres prestations sociales. Il propose une facilitation de l’accès aux RSA jeunes.
Du fait de la composition des groupes et des déclarations d’intention du ministère, il émane de ces travaux des conceptions fortes de solidarité et de respect pour les plus démunis : sur leurs droits, sur leur participation aux mesures qui les concernent, sur la nécessité d’être rigoureux dans la mise en œuvre des dispositifs d’aide. La conférence sera certainement à la hauteur de ces écrits. On peut regretter cependant que les propositions n’aillent pas plus loin : précisément, sur le montant du RSA, on sent que le groupe est plombé par les contraintes de la crise financière. S’il n’y a plus d’argent comment dépenser plus pour les plus pauvres ? Bien sûr qu’investir pour l’industrie, agir pour que l’économie se porte mieux, faire en sorte que la croissance reprenne, c’est capital (si l’on ose dire). Mais on continue à ne pas être cohérent : la plupart des auteurs qui ont planché sur ces questions sont conscients que l’on ne peut vivre avec 417 € par mois. Et pourtant, il y a fort à parier que les augmentations des minima sociaux, si elles sont retenues, se feront au compte-gouttes.
Enfin, il est regrettable que l’approche soit souvent techniciste et pas suffisamment « militante » : pourtant, comme je l’ai développé dans un texte sur ce blog (3), il importe que soit lancer une véritable dynamique de l’intervention sociale dans ce pays, mobilisant sur la durée tous les acteurs de l’action sociale (publics, privés, professionnels, bénévoles), usagers y compris. Par des discours, des orientations, des actes, des procédures. Cependant, les incitations à conforter une action sociale territorialisée, avec pour chef de file le Conseil Général, affirmées par le groupe sur les politiques de solidarité, est, à cet égard, de bon augure.
Yves Faucoup
Enseignant et consultant dans le domaine de l’action sociale et du développement social local. Ancien directeur d’un centre de formation de travailleurs sociaux, ancien directeur de l’action sociale d’un Département.
[voir ma contribution à cette conférence, adressée au Ministère qui l’organise, il y a une semaine et mise en ligne sur ce blog :
(1) Accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux ; Logement et hébergement ; Emploi, travail et formation professionnelle ; Familles vulnérables, enfance et réussite éducative ; Santé et accès aux soins ; Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement ; Gouvernance des politiques de solidarité.
Source : Blogs.mediapart.fr
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