Ces flics qui aident les sans-abri

Fondée en 1955, la Bapsa patrouille tous les jours dans Paris. Chaque année, cette brigade unique en son genre prend en charge 50.000 SDF. Reportage.

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Rencontre avec Gédéon, à la rue depuis 1998. © Nicolas Guégan

17 h 30, commissariat de la porte de la Villette, Paris, 19e arrondissement. Yoann, Mustafa, Michael et Richard s'apprêtent à prendre leur service de nuit. Comme tous les autres policiers de France, ils s'équipent de leur arme de service, un 9mm. Mais ces hommes ne se préparent pas à patrouiller dans les rues de Paris pour en assurer la sécurité. Eux, ils ont une tout autre mission à accomplir. Rattachés à la brigade d'aide aux sans-abri (Bapsa), ils explorent les moindres recoins de la capitale pour venir en aide à ceux qui dorment dans la rue.

Après un rapide briefing, le fourgon démarre. Michael, 33 ans, gardien de la paix, prend le volant. Direction la porte de Bagnolet, où des Bulgares ont trouvé refuge à quelques mètres du périphérique. L'autoradio remplace le traditionnel deux-tons. "Nous allons à leur rencontre afin de nous assurer de leur bonne santé", explique Mustafa, 23 ans. Sous contrat pour trois ans avec la police nationale, ce jeune policier n'a pas choisi d'intégrer la Bapsa. Pourtant, il ne regrette pas son affectation.

Michael coupe le moteur. Les conversations s'arrêtent net. Les policiers peinent à y croire. Les trente cabanons ont été rasés. Seuls des morceaux de bois et de verre témoignent de leur existence passée. Plus loin, un tas de déchets attend d'être évacué. S'y trouvent pêle-mêle des livres, des vêtements et des cahiers d'écoliers. "Je ne comprends pas. Il y a une semaine, ils étaient encore là. Nous aurions dû être avertis de leur expulsion", s'étonne Richard, solide gaillard de deux mètres et aîné de l'équipage.

Des centaines de camps

19 heures. Retour sur le périphérique. Mustafa pointe du doigt les nombreux campements qui jalonnent la route la plus empruntée d'Europe. "Avant, je n'y prêtais pas attention, aujourd'hui j'en vois partout", raconte-il. Nouvel arrêt porte d'Aubervilliers. Face à un rond-point, un camp s'est installé. Près de soixante Roms y vivent dans une vingtaine de cabanons de fortune. La pluie des derniers jours a détrempé les tapis qui recouvrent le sol. Un rat traverse le camp et manque de se faire électrocuter par des fils qui pendouillent. Mustafa et ses collègues s'assurent de la bonne santé de tous. Mais difficile de communiquer davantage. La misère est frappante. Seule une BMW fait tache.

La patrouille reprend son cours. Yoann se confie à son tour. Comme Mustafa, il n'a pas choisi d'intégrer la Bapsa, mais lui ne souhaite pas y faire de vieux os. Son rêve : être muté dans le "93" (en Seine-Saint-Denis, NDLR) et "intégrer la BAC" (Brigade anti-criminalité, NDLR). Yoann préfère l'action au social. Il est d'ailleurs le seul à porter un gilet pare-balles. Nouvel arrêt. Au fin fond du 18e arrondissement, abrité sous un pont, Gédéon vit là depuis octobre 1998. De son camion, une prostituée veille sur lui. Gédéon se porte bien. Pour tuer le temps, il s'amuse à nourrir les pigeons. "Je suis en retraite depuis quinze ans", précise-t-il à qui veut bien l'entendre. N'ayant peur de rien, il réclame quelques pièces aux hommes de la Bapsa. Malgré l'interdiction, l'un d'eux finit par craquer. Gédéon est aux anges.

"Il me reste dix ans à faire"

20 h 30, boulevard Davout, 20e arrondissement de Paris. La faim se fait sentir dans les estomacs. Richard s'extirpe du véhicule pour retirer de l'argent. Une femme, en larmes, en profite pour l'apostropher. Elle est affamée et se plaint de n'avoir pas eu de place au Chapsa (le centre d'hébergement de la Bapsa à Nanterre). Richard, prenant le problème à cœur, se dirige vers la première supérette venue et obtient deux bananes du gérant. "Si le supermarché avait refusé, je les aurais achetées moi-même", assure-t-il. Plus tard, autour d'un sandwich réparateur, Richard ne peut pas s'empêcher, non sans fierté, de revenir sur cet événement. Après six ans à la Bapsa, Richard en est convaincu, il y finira sa carrière. "Il me reste dix ans à faire", conclut-il.

La pause se termine, et la maraude se poursuit dans les rues de Paris. Dernier arrêt. Entre deux immeubles, un Algérien de 73 ans a trouvé refuge. Marqué par l'alcool, son visage est comme vieilli d'une dizaine d'années. L'homme peine à s'exprimer, sa voix est inaudible, presque muette. Une fois encore, il refuse l'aide des policiers. "De toute façon, avec son bazar, il ne peut pas aller en centre d'hébergement", constate Richard. Alors que Michael s'apprête à démarrer, deux femmes s'approchent. Ce sont des habitantes du quartier, elles viennent se renseigner sur l'état de santé du "gentil monsieur".

Moqués par leurs collègues

La Bapsa ne se contente pas d'écumer les rues. Elle se rend dans les moindres recoins de Paris : des sorties de secours de tunnels, en passant par les berges de la Seine, jusqu'au métro aérien. "Une fois, alors que je patrouillais avec mon chef, j'ai entendu du bruit provenant d'une bouche d'égout. Et quelle n'a pas été notre surprise d'y découvrir un SDF qui y vivait depuis plusieurs mois", se remémore Mustafa. Choqué par cette découverte, le jeune policier ne comprend toujours pas comment un homme peut être réduit à vivre sous terre, au milieu des rats.

22 h 20. La patrouille touche à sa fin. Les dernières conversations s'engagent. Confrontés en continu à la misère humaine, les hommes de la Bapsa ne reçoivent pourtant aucun soutien psychologique. "Au début, on a du mal à faire face à la détresse des gens. On ne sait pas comment s'y prendre, mais on finit par s'y habituer", commente Yoann. Le plus dur : les moqueries de certains policiers. "Quand j'ai annoncé à mes collègues que j'avais demandé à être muté à la Bapsa, ils se sont bien marrés", se souvient Michael. Traités d'"assistantes sociales", ils sont parfois perçus comme n'étant pas de "vrais flics". D'autres, moins nombreux, les félicitent.

Par et

 

Source : Lepoint.fr

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