La Grande-Bretagne nous paie pour que nous gérions, sur notre territoire, son immigration

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Pour le juriste Olivier Cahn, les accords du Touquet signés en 2002 sont fondamentalement déséquilibrés.
 
Calais 18 01 2018
Des policiers français encadrant des migrants désireux de passer en Angleterre par le tunnel sous la Manche,
en août 2015, près de Calais. Emilio Morenatti / AP

Maître de conférences en droit pénal à l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), Olivier Cahn a consacré sa thèse de doctorat à la « coopération policière franco-britannique dans la zone frontalière transmanche ». Pour lui, la souveraineté de la France est mise à mal par ces accords.

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Le chef de l’Etat a fait savoir avant le sommet franco-britannique qu’il allait négocier un avenant aux accords du Touquet pour demander aux Britanniques de faciliter l’entrée légale de migrants mineurs. Il va aussi plaider pour une contribution financière supplémentaire des Britanniques. Est-ce suffisant à vos yeux ?

Olivier Cahn : Sur le fond, ces annonces suscitent une question et une remarque. Il est ainsi possible de s’étonner que les exigences françaises se limitent aux mineurs. Pourquoi ne pas exiger que les Britanniques acceptent d’examiner la situation de toutes les personnes présentes à Calais qui peuvent justifier de liens familiaux au Royaume-Uni ?

Par ailleurs, si l’intention est louable, la notion d’aide au développement économique suscite un malaise pour deux raisons : d’abord parce qu’elle renvoie aux rapports entre pays développés et pays en voie de développement, ce qui n’est pas flatteur pour le Calaisis ; ensuite, parce qu’elle implique que la France accepte que la situation dans le Calaisis soit vouée à perdurer et que les autorités françaises sont disposées, en échange d’une compensation financière, à assumer le contrôle de l’immigration vers le Royaume-Uni, sans considération pour les conséquences pour les habitants du Calaisis.

Pour bien comprendre… On parle beaucoup de ces accords du Touquet, sur lesquels vous avez travaillé des années. Comment les résumer ?

Ce sont les accords qui organisent les contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord. Signés en février 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, et par son homologue britannique, David Blunkett, ils ont pour objectif de rendre étanche la zone portuaire de Calais. Ils complètent le protocole de Sangatte (1991) et son protocole additionnel (2000), qui verrouillent la frontière ferroviaire en organisant les contrôles dans les gares Eurostar à Paris et à Londres, au niveau du tunnel sous la Manche et, par un arrangement complémentaire de 2002, autour de la gare de Calais-Fréthun.

Qu’est-ce qui ne va pas avec ces textes ?

Ils présentent une apparence de réciprocité, puisqu’ils autorisent les policiers français à effectuer leurs contrôles d’immigration sur le territoire britannique, et les agents des services d’immigration britanniques à faire la même chose sur le sol français. Mais le mouvement migratoire est à sens unique. En pratique, ces textes déplacent de la frontière britannique en France et transfèrent en France la gestion de l’immigration vers le Royaume-Uni.

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Quelles en sont les conséquences ?

La première, c’est la situation créée à Calais ! Outre le coût humanitaire infligé par les autorités aux migrants pour les dissuader de rester aux abords de Calais, la gestion de la frontière a un coût très important puisqu’elle immobilise un nombre élevé de policiers. S’y ajoutent un coût économique pour le Calaisis, un coût politique constaté à chaque élection, et un coût en termes d’image de la France. Par ailleurs, et cela est trop négligé, cet accord nous conduit à violer nos obligations au titre des accords de Schengen et du règlement Dublin.

Nous privilégions donc la Grande-Bretagne par rapport au reste de l’UE.

Exactement. Comme le Royaume-Uni a refusé de participer au volet « immigration » de Schengen, la frontière située sur la Manche est une frontière extérieure de cette zone de libre circulation. La France doit contrôler l’entrée et la sortie de cet espace commun. Or, en pratique, elle s’acharne surtout à empêcher des étrangers sans titre de séjour qui veulent quitter cet espace de le faire. Ce n’est pas l’esprit des textes de l’Union !

De surcroît, pour soulager la pression sur Calais, nous malmenons la philosophie des accords de Schengen en effectuant, depuis 2015, des contrôles à la frontière avec l’Italie, qui est pourtant une frontière intérieure de Schengen.

Nous maltraitons aussi le règlement européen dit « Dublin » relatif à l’examen des demandes d’asile, en acceptant de reprendre des demandeurs interceptés par les Britanniques et d’examiner leur situation en France alors que nous savons depuis 1997, par un avis des services juridiques de l’Union, qu’ils relèvent de la compétence britannique. On peut penser ce que l’on veut des accords de Dublin, mais il n’est pas acceptable que la France les applique d’une manière favorable aux Britanniques, qui refusent toute solidarité européenne en matière d’asile, et défavorables envers nos partenaires du sud de l’Europe, qui supportent l’essentiel de la pression migratoire.

Les Britanniques ont tout simplement externalisé leur frontière.

Ni plus ni moins. La Grande-Bretagne nous paie pour que nous gérions, sur notre territoire, son immigration. C’est de l’externalisation de sa frontière, comme l’Union européenne le fait avec le Maroc ou la Libye… Nous sommes devenus les Libyens ou les Marocains des Britanniques.

Depuis 2012, la France va régulièrement récupérer un peu d’argent à Londres… Estimez-vous le partage des coûts désormais équitable ?

Pendant sept ans, nous n’avons pas réclamé de contreparties. En 2010, les accords entre Eric Besson et Damian Green [alors ministres de l’immigration français et britannique] ont amorcé le partage des coûts. Depuis l’accord conclu entre Hollande et Cameron au sommet d’Amiens en 2016, les Britanniques paient leur quote-part. Le Monde avait évalué à quelque 80 millions d’euros le coût de la gestion annuelle de cette frontière. Aujourd’hui, les Britanniques nous versent 55 millions d’euros.

Sous-entendez-vous qu’il y a sûrement une contrepartie cachée à cet accord ?

Absolument. Je n’ose imaginer qu’elle n’est que financière. Sinon, je ne parviens pas à m’expliquer pourquoi, en 2009, Eric Besson a accepté que les services de l’immigration britanniques opèrent sur le sol français et pourquoi, en 2015, Bernard Cazeneuve a admis la coadministration de la police de la zone frontalière au sein d’un centre de commandement et de contrôle intégré situé sur le territoire français. La lutte contre les filières de passeurs n’est pas un argument recevable puisqu’elles ne sont que la conséquence de notre soumission aux exigences anglaises.

Il faut être conscient que nous avons fait des concessions incroyables. Le protocole additionnel autorise ainsi un agent de l’immigration britannique exerçant à Paris à interdire à un citoyen français souhaitant rejoindre le nord du pays d’embarquer à bord d’un Paris-Londres via Lille s’il n’a pas les documents requis pour entrer en Grande-Bretagne. Cette disposition est aujourd’hui intégrée à l’article L2241-8 du code des transports. Cela va donc très loin en matière de renoncement à la souveraineté. En outre, les accords sont complétés par des arrangements administratifs, qui n’ont pas été soumis à un contrôle parlementaire, et qui pour certains augmentent encore le degré de cogestion de la frontière.

 

Source : Le Monde.fr

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