« May voulait un accord à tout prix, Johnson veut un Brexit à tout prix » (Marianne)

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Le politologue Thibault Muzergues revient sur la nomination de Boris Johnson comme nouveau Premier ministre du Royaume-Uni.

Boris Johnson PM 23 07 2019

Largement favori, Boris Johnson a très facilement remporté ce mardi 23 juillet la course pour devenir le prochain Premier ministre britannique face au ministre des Affaires étrangères, Jeremy Hun, avec 92.153 des 159.000 votes des membres de son Parti conservateur. Ex-maire de Londres, ex-chef de la diplomatie britannique et surtout grand défenseur du Brexit, il entrera en fonction ce mercredi, après avoir rencontré la reine. Le politologue Thibault Muzergues fait le point avec nous sur les enjeux de cette nomination.

Marianne : Boris Johnson vient d’être nommé Premier ministre du Royaume-Uni. Est-ce une rupture ou une continuité par rapport à Theresa May ?

Thibault Muzergues : Un peu des deux. Il y a continuité en ce sens que Boris Johnson, comme Theresa May, est issu du Parti conservateur et gardera une ligne directrice générale qui ira dans la même direction que sa prédécesseure – y compris sur le Brexit. Pour Johnson comme pour May, "Brexit means Brexit", et la sortie de l’Union européenne reste le premier objectif du nouveau pensionnaire du 10 Downing Street. Seulement, là où May voulait un accord à tout prix, Johnson veut lui un Brexit à tout prix. C’est bien là la principale différence de fond entre les deux personnages, outre le style bien entendu, qui lui-même va fortement influencer les décisions du nouveau Premier ministre.

Theresa May s’est cassé les dents sur le Brexit. Boris Johnson est-il en mesure de faire mieux ?

Paradoxalement, Boris Johnson a une petite fenêtre par laquelle il peut passer pour réussir là où Theresa May a échoué. Du fait de son euroscepticisme de longue date, de son soutien absolu au Brexit durant la campagne du référendum et la période May, il est considéré comme "l’un des leurs" par les Brexiters durs. Du côté des centristes du parti (les One-Nation Tories), il est aujourd’hui acceptable dans la mesure où beaucoup ont conscience qu’ils ne peuvent plus reculer sur le Brexit sous peine de faire disparaître le parti. Et ils font confiance à Boris Johnson car en son temps à la mairie de Londres, il était sur la plupart des questions de société dans le camp des progressistes du parti – reste à savoir bien entendu qui, de Dr. Boris ou de Mr. Johnson, sera le nouveau Premier ministre mais cette question ne se tranchera qu’au fur et à mesure, une fois la lune de miel passée.

Enfin, le timing est important : Johnson a promis un Brexit quoi qu’il arrive (Do or Die) le 31 octobre, ce qui correspond à peu près à la période de lune de miel qu’il aura avec l’ensemble des chapelles politiques du Parti conservateur. De l’autre côté, nous avons une Union européenne en transition, où la nouvelle Présidente de la commission voudra une première victoire à mettre à son actif, Michel Barnier voudra lui finir sa mission sur une bonne note, bref, tout le monde aura intérêt à trouver un accord qui peut être présenté comme une victoire vis-à-vis des opinions publiques britannique et européenne.

« Si Boris Johnson, l’espoir des Brexiters depuis le départ de David Cameron, ne parvient pas à mener l’opération à son terme, il est alors probable que le plus vieux parti encore en exercice dans le monde disparaisse aux prochaines élections. »

Si Johnson réussit à arracher quelques concessions (peut-être même de façade) à l’Union, notamment sur l’Irlande du Nord, pourquoi pas en échange d’autres concessions sur d’autres termes du divorce, le nouveau Premier ministre pourrait revenir fin septembre à la Conférence annuelle des Conservateurs avec un accord May légèrement remanié qu’il pourra présenter comme définitif. La question est alors de savoir s‘il pourra faire passer cet accord au Parlement, en sachant que la situation y est encore très compliquée en raison de l’absence d’une majorité absolue pour les Conservateurs à la Chambre des communes et des dynamiques internes très fluides à l’intérieur du parti.

Soit Boris Johnson parvient à user de ses charmes pour convaincre l’ensemble des députés dont il dépend pour sa majorité, le deal passe et tout le monde sera soulagé, soit il entre en conflit avec le Parlement (présidé, rappelons-le, par le Remainer John Bercow), et nous pourrions assister à une crise constitutionnelle sans précédent depuis l’abdication d’Edouard VIII en 1936. A ce moment-là, le seul moyen d’en finir sera de convoquer de nouvelles élections dont on a vu durant la campagne des européennes qu’elle pouvait s’avérer très incertaine, voire létale pour les deux grands partis historiques britanniques.

Boris Johnson aura-t-il pour objectif de couper l’herbe sous le pied à Farage et son parti pro-Brexit ?

Oui, et c’est désormais une question de survie pour le Parti conservateur : les élections européennes ont montré à quel point l’électorat des Tories s’était radicalisé sur la question du Brexit. Si Boris Johnson, l’espoir des Brexiters depuis le départ de David Cameron en 2016, ne parvient pas à mener l’opération à son terme, il est alors probable que le plus vieux parti encore en exercice dans le monde disparaisse aux prochaines élections.

Aujourd’hui, l’équation pour Johnson est claire : pas de Brexit, et c’est la fin du Parti conservateur. Il en est conscient et c’est ce qui le pousse à vouloir d’un Brexit à n’importe quel prix (même s’il espère toujours obtenir un accord avant cela).

« Dans le contexte du Brexit, et au vu de la faiblesse militaire de l’Union européenne, Johnson n’a qu’un endroit où aller : les États-Unis. »

Boris Johnson risque de devoir gérer rapidement l’escalade des tensions avec Téhéran. Comment peut-il s’en sortir ?

Dans le contexte du Brexit, et au vu de la faiblesse militaire de l’Union européenne, Johnson n’a qu’un endroit où aller : les États-Unis. Cela tombe bien dans la mesure où il est souvent comparé à Donald Trump. On devrait donc voir les premiers signes d’un rapprochement de Londres avec Washington – au moins sur la question du Moyen-Orient. Reste à savoir ce que les États-Unis voudront en échange d’un soutien plus actif aux Britanniques – et le style de Trump est très clair : on n’a rien sans rien. Londres devra donc faire des concessions et à ce titre, il est probable que la porte entrouverte par le gouvernement britannique pour la livraison de la 5G dans le Royaume au géant chinois Huawei se fermera définitivement dans les prochains jours, la question étant d’une importance capitale pour les Américains qui s’appuient sur les "Five Eyes" des services de renseignements du Canada, de l’Australie, la Nouvelle Zélande et le Royaume-Uni et des États-Unis pour assurer leur sécurité – autant dire que la perspective du contrôle d’un réseau sensible comme la 5G par une entreprise liée à l‘armée chinoise est un fort sujet de mécontentement à Washington.

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Source : Marianne.net

 

Informations complémentaires :

Crashdebug.fr : VOX POP : Brexit (Arte)

 

 


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