Avec la réforme de la justice, « les justiciables aisés auront une justice à leur service, les classes populaires en seront exclues »

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Justice 04 01 2019

Des algorithmes remplaçant les juges pour trancher des litiges mineurs ; des procès à distance, et déshumanisés, via la visioconférence ; des gardes à vue décidées par des policiers sans accord écrit d’un juge ; des plateformes numériques privées pour régler à l’amiable des litiges ; un accès à la justice trop onéreux pour les classes populaires… Science-fiction ? Aucunement : il s’agit de la réforme de la justice portée par la Garde des Sceaux Nicole Belloubet et discutée à l’Assemblée nationale. Sa « justice du 21e siècle » commence à ressembler à un cauchemar pour l’égalité des droits et la démocratie. Le Syndicat des avocats de France, comme de nombreux acteurs du monde judiciaire, est vent debout contre ce projet. Basta ! s’est entretenu avec sa présidente, Laurence Roques.

Basta ! : Vous accusez le projet de loi de programmation 2018-2022 pour la Justice d’accentuer l’abandon des quartiers populaires et des territoires ruraux ou ultrapériphériques. Pourquoi ?

Laurence Roques [1] : Parce que le gouvernement veut supprimer les tribunaux d’instance, c’est-à-dire la seule véritable justice de proximité, puisqu’il y en a actuellement un par ville. Et cela pour les remplacer par des plateformes numériques à travers lesquelles chacun pourra saisir la Justice pour les « petits » litiges, ceux pour lesquels on ne prend pas d’avocat, comme un litige avec son propriétaire ou encore avec un loueur de voiture. Les membres du gouvernement et les députés qui défendent le projet sont malins : ils disent qu’ils vont rapprocher la justice des justiciables puisque, via les plateformes en ligne, la justice viendrait directement chez les gens. Mais ils oublient la fracture numérique, qui touche quand même 25% des personnes, qui n’ont soit pas d’ordinateur, soit pas de connexion correcte.

De plus, ce changement implique un abandon de l’oralité, pratiquée dans les tribunaux d’instance, pour aller vers l’écriture. On exclut là un certain nombre de gens qui ne sont pas familiers de l’écriture, et encore moins de l’écriture juridique qui est très technique. Cette justice-là ne parle qu’aux justiciables aisés qui ont déjà les codes du numérique et qui prendront de toutes manières un avocat. Ceux-là auront une justice à leur service. Ce sont clairement les classes populaires qui en seront exclues.

Cette justice de classe passerait aussi, dîtes-vous par le rétablissement du timbre fiscal, dont le montant varie selon les motifs que l’on a de saisir la justice, et qui avait été aboli par Christiane Taubira ?

Le rétablissement du timbre fiscal révèle la logique purement budgétaire du gouvernement, qui entend faire payer la justice directement par les justiciables. L’un des problèmes de la Justice française, c’est qu’il n’y a pas assez de juges. Leur nombre n’a quasiment pas bougé depuis la fin du 19e siècle, alors que la demande de justice a considérablement augmenté. Pour sortir de cette ornière, il y a un moyen très simple : c’est de faire en sorte que le juge ne soit plus saisi du tout, en dissuadant les justiciables de le faire. Le timbre fiscal est à cet égard très efficace. Là encore, ce sont les classes populaires qui seront exclues, puisque pour être exonéré du timbre fiscal, il faut être éligible à l’aide juridictionnelle. Or, l’aide juridictionnelle ne concerne que les plus pauvres, et encore sous certaines conditions. Ceux et celles qui touchent entre 800 euros et le Smic, par exemple, devront payer le timbre fiscal.

Vous dénoncez par ailleurs une Justice déshumanisée, avec la crainte que les algorithmes remplacent, peu à peu, les magistrats…

Prenons les 500.000 injonctions de payer qui sont prononcées chaque année. De quoi s’agit-il ? Quand une facture n’est pas payée dans un certain délai, le créancier sollicite une « injonction de payer », c’est-à-dire un titre exécutoire qui permet de saisir les comptes du débiteur. Jusqu’à présent, c’est le juge d’instance du lieu de vie du débiteur qui reste maître du contrôle de la procédure, et qui regarde ce qui se passe dans les faits. Il convoque le débiteur qui, en général, vient avec ses relevés de compte, ses talons de chèque, et qui s’explique. Il n’est pas rare que la personne ait en fait payé ou s’apprête à le faire, que les demandes soient abusives, ou que les créanciers pratiquent des taux usuraires.

 

Source(s) : Bastamag.fr via Contributeur anonyme

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