Réappropriation...

Un billet intéressant, pointé par notre ami le Veilleur ; ). Merci à lui...

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« Tout être humain devrait être capable d’effectuer la maintenance de base sur lui-même. »

- Dr. Kelly Starrett

En 1998, alors que j’étais un jeune et pète-couilles « chercheur » en sciences sociales, j’avais pondu un texte très mal accueilli sur les changements civilisationnels qui allaient être induits par la démocratisation d’Internet. Étant alors focalisé, de par mes préoccupations journalistiques du moment, sur les moyens de diffusion, j’entrevoyais un renversement d’iceberg qui allait — lentement mais sûrement — faire chavirer le Titanic occidental.

16 ans après, les faits me donnent peu à peu raison… et même si concrètement cette révolution de fond a commencé bien avant Internet, le fait est que c’est en marche.  Et que ça se fera.

Les gens sont en train de se réapproprier le pouvoir sur tous les aspects importants de leur vie. Petit à petit.

Si on devait utiliser un seul mot pour définir la période charnière que nous sommes en train de traverser, c’est « réappropriation ».  Nous sommes, nous « le peuple », en train de reprendre graduellement les rênes de nos vies. Nous sommes en train de rompre, ligne par ligne, le contrat social passé par nos ancêtres, pour en redéfinir tant bien que mal un nouveau.

Le contrat social, notamment en France et dans la plupart des anciens systèmes monarchiques (à l’exception de la Suisse qui a amorcé ce tournant il y a plusieurs siècles), a culturellement été le suivant : un pouvoir central relativement fort assure l’ordre et la survie du peuple.  En échange de ces garanties, le peuple accepte de ne pas maîtriser son destin, de ne pas jouir pleinement de sa liberté (ni d’assumer les responsabilités et les risques qui vont avec).

Evidemment il y a plein d’exceptions. Mais on voit quand même, AMHA, une tendance massive allant dans ce sens là depuis des siècles.

Ainsi, malgré la Révolution et malgré le fait que nous sommes dans une forme de gouvernement dite « démocratique », en France le peuple n’est PAS souverain. C’est le pouvoir central, divisé en trois branches (législatif, exécutif, judiciaire) qui l’est (dans les faits, j’ajouterais un 4e pouvoir à ces trois branches : le pouvoir financier, qui est intimement lié à la souveraineté de l’État comme l’était auparavant le pouvoir Religieux. Mais c’est un autre débat.) Le pouvoir central, l’État souverain, délègue des petites parties de son pouvoir, au compte-goutte, à des gens qu’il cherche à contrôler par tous les moyens par ailleurs. On le voit très clairement avec les fonctionnaires de police ou les gendarmes qui ont tellement souvent « l’honneur de rendre compte » qu’ils osent de moins en moins utiliser la force, même quand c’est justifié (ce qui n’empêche pas qu’il y ait des abus par ailleurs, mais c’est encore un autre débat).

Le peuple, dans les faits, ne décide de rien… ou presque. On lui donne l’illusion du choix via des élections qui reviennent, pour faire un parallèle avec les échecs, à avoir collectivement le droit de jouer deux pions tous les cinq ans, alors que le pouvoir central joue librement ensuite en touchant toutes les pièces, y compris les nôtres, le reste du temps.

Jusque là, ça tenait plutôt bien, via le contrôle de l’information, via le contrôle de la formation, aussi, les États arrivaient à formater suffisamment bien les esprits pour que tout ça tienne à peu près. Cela ne se faisait pas forcément de manière délibérée ou consciente (on en parlera plus loin). Mais ça revenait de facto à cela.

Mais de nos jours, il y a une grosse couille dans le potage. Devant la faillite de plus en plus réelle de l’État à assurer ses fonctions et à remplir sa part du contrat social (assurer la survie et le bien-être du peuple), les gens se questionnent. Une frange, d’abord minime et marginale, de la population s’est intéressé aux compétences nécessaires pour vivre bien sans le concours de l’État. Menacé dans son rôle, et de fait dans sa survie, l’État réagit depuis quelques années en limitant graduellement les libertés d’action de chacun. Il le fait par la législation, et massivement par la normalisation d’absolument tout. Tout devient normé, standardisé, compliqué à un point qu’il est nécessaire de faire appel à différentes strates de spécialistes (du juriste au normo-compétent) pour mener à terme n’importe quel projet. Installer un cabanon de plus de 20 mètres carrés ou une piscine dans son jardin devient un véritable parcours du combattant. Créer une entreprise est devenu un chemin de croix. La faire survivre trois ans, un exploit… Tous ces mécanismes sont des tentatives systémiques, pour l’État, d’assurer sa survie. Et ce qui est splendide dans cette structure tricéphale est qu’aucun acteur central n’a la capacité de prendre la décision de nous pourrir la vie de manière cohérente et structurée. C’est un système auto-organisé tout bête, reposant sur un algorythme ultra-basique : chaque fonctionnaire, cherchant à maintenir son emploi, a des comportements qui orientent, globalement, le gros Titanic vers une réduction progressive de la marge de manœuvre des « contribuables ».

« Un citoyen sans fusil n’est qu’un contribuable »

Oui, je sais, ça va en choquer plusieurs. Mais tenez bon deux secondes, je vais expliquer le fond de ma pensée ;)

(et non je ne pense pas qu’il soit sain que tout le monde en France ait accès librement aux armes à feu aujourd’hui…  ça marche en Suisse, avec la culture Suisse…  en France, je n’y crois juste pas).

La différence fondamentale entre le citoyen et le contribuable, ça n’est pas le fusil. C’est le droit d’en avoir un. Et ce droit existe uniquement quand il n’est pas supprimé par un pouvoir central. Un contribuable n’a pas de pouvoir. Il n’a pas le droit d’exercer du pouvoir, ni des responsabilités. Il peut batifoler à l’intérieur d’un cadre normatif et juridique strict, défini par le législatif, imposé par l’exécutif, mais n’a ni le droit ni le pouvoir d’influencer ou de changer ce cadre législatif. Ni par le dialogue, ni par la force.

Le fusil, le fait de pouvoir posséder un fusil, c’est avant tout le symbole de cela. Un gouvernement qui autorise son peuple à devenir un réel contre-pouvoir jusque-là est, de fait, dans une position de dialogue et de respect mutuel avec le peuple. Et le fait d’interdire au peuple de s’armer constitue, dans les faits, bien plus un désarmement moral et symbolique qu’un désarmement réel.

Et donc les gens, à l’intérieur de ce cadre légal, se remettent à vouloir toucher à leurs pièces. Ils se mettent à questionner le cadre.

Pas un repas entre amis, pas une réunion de famille, pas un seul moment passé en groupe, depuis que je suis arrivé en France, qui ne se termine pas en critique massive du système. Depuis exactement 14 ans, j’entends les mêmes ras le bols… et petit à petit, plutôt que de lancer une révolution violente, tous ces gens se mettent à bricoler dans leur coin. Chacun à leur manière, mais avec tous, sans le savoir, ce même esprit de réappropriation au fond du cœur. Au creux des mains.

Les gens veulent reprendre le pouvoir sur leur vie. Et les exemples foisonnent :

  • les magasins de bricolage et d’outillage voient leurs chiffres d’affaire exploser depuis plusieurs années… au début on a cru que c’était à cause du coût de la main-d’œuvre, mais c’est plus que ça. C’est aussi parce que les gens veulent construire leurs trucs eux-mêmes, selon leur goût…
  • les cours de self-défense se répandent et se démocratisent (avec toutes les dérives possibles, évidemment) : les gens ne veulent plus dépendre de la police pour assurer leur protection, parce qu’ils sont bien conscients qu’elle ne peut pas tout faire, et qu’elle ne peut pas être partout…
  • les gens se remettent au tir… et pas uniquement pour faire des trous dans du carton. Ils veulent apprendre à tirer pour avoir une arme en règle à la maison. Pour pouvoir chasser et se défendre au besoin.
  • les gens se remettent à faire pousser des trucs chez eux. Les micro-élevages de poules sont en train d’exploser. La permaculture, l’agriculture bio et les AMAP foisonnent…
  • les gens s’intéressent aux médecines alternatives, essaient de comprendre (parfois maladroitement, et les charlatans en profitent) comment fonctionne leur corps, comment se soigner… parce qu’ils voient dans la médecine occidentale trop de chimie profitable aux labos, et pas assez de bienveillance…
  • les gens se mettent à faire du sport chez eux : la réussite de l’ouvrage d’Olivier Lafay sur la musculation sans matériel en atteste aussi… Pour les autres, ils quittent de plus en plus les salles de gym traditionnelles et se remettent à faire des activités dont la philosophie est davantage « open source » : libre et ouverte. Le crossfit (malgré ses dérives commerciales) est issu de ce genre de mouvement où des gens ont voulu « hacker » leur préparation physique et se la réapproprier avec du matériel facile à trouver (les débuts du crossfit, c’était des pneus usés, des masses, des câbles… de temps en temps un train arrière de pick-up…  beaucoup de matériel de récupe avec une méthodologie qui envoyait valser tous les principes théoriques au profit du constat empirique que ça fonctionnait bien !) ;

Bref… déçus par l’immobilisme et parfois l’aspect un peu perverti de beaucoup d’institutions, d’activités, de branches de leurs existences, les gens bricolent, inventent, et partagent leurs trouvailles via les réseaux sociaux, Internet, et autre. Et cette possibilité de diffuser internationalement ses trouvailles (et ses selfies débiles aussi) permet non seulement à des communautés d’esprit très étendues de se rencontrer, mais aussi à une coopération globale d’émerger pour régler des problèmes bien concrets…

Les gens, grâce à ce partage et à cette mise en commun, retrouvent du pouvoir sur leur vie… et donc plus de liberté.

Internet est probablement sur le point d’être de plus en plus contrôlé un peu partout dans les pays centralisateurs… ça se fera comme toujours pour de bonnes raisons, avec des effets secondaires et des dommages collatéraux inacceptables que la majorité fera semblant d’accepter. Mais les alternatives sont déjà en marche. Les peuples ont goûté à la liberté… et les États qui survivront à cela seront ceux qui participeront à ce mouvement. Pas ceux qui tenteront de l’étouffer.

Le monde est désormais open source. Le monde est désormais « bottom up ». L’avenir de l’humanité commencera tout en bas de la pyramide, et il poussera en cercles bienveillants sous la structure. Ces cercles de « 5% » seront là quand les gros édifices étatiques fonderont comme autant d’icebergs au soleil.

J’espère que cette bascule se fera sans trop de heurts. Je crains que la crise ne soit rude. Je crains que beaucoup de résistances des États provoquent des ruptures et des confits. Je crains que l’apparente absence de pouvoir central ne tente certains de reconstruire un pouvoir central qui leur plairait mieux. Peut-être que le cycle recommencera. Peut-être que j’ai tout simplement tort sur tout la ligne.

L’avenir nous le dira…

Ce que je sais, c’est que les centaines de personnes qui viennent en stage chez moi tous les ans ont exactement tous cela en commun : ils veulent des outils pour se tenir debout tous seuls, et ainsi pouvoir contribuer à la société de manière citoyenne et solidaire. Parce que paradoxalement, la solidarité est alimentée par l’autonomie de chacun. Quand chacun a plus de solutions que de problèmes, il peut donner un peu de ses solutions à ceux qui en manquent…  ;)

Messieurs, mesdames les chefs d’État, les grands de ce monde, je vous en supplie, comprenez la lame de fond qui est en marche. Ce changement est déjà en marche. Ce monde a déjà changé. Il est de votre responsabilité d’accompagner ce tsunami avec lucidité et bienveillance… Il faudra tout réinventer graduellement. J’espère que nous y arriverons, à l’échelle planétaire, pour le bien commun de tout ce qui vit sur cette petite, ridiculement petite, planète.

 

Source : Davidmanise.com via le Veilleur

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