Dette : combien la France coûte-t-elle à la Grèce ?

"Ce sont nos enfants que l'on affame ! C'est la Patrie qu'on assassine !" Sur son blog "L'Arène nue", Coralie Delaume se moque de ceux qui poussent ce genre de cris et nous expliquent que "ces saligauds de bouffeurs d'olives" grecs, à qui nous avons prêté de l'argent, "pourraient bien ne jamais rembourser". Elle retourne cet argument en rappelant que la France a fait son beurre sur la dette de la Grèce en lui prêtant à des taux bien plus élevés que ceux auxquels nous empruntions...

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Thanassis Stavrakis/AP/SIPA
 
L'Union européenne, chacun le sait, c'est le déploiement magnifique des « principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». C'est un effort tout entier tendu vers une consolidation de « la solidarité entre les peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions », visant à éloigner de nos doux rivages et pour toujours le spectre de « la division du continent européen ».

C'est en tout cas ce qui est écrit dans le préambule du Traité sur l'Union européenne (TUE). Car c'est bien de là que sont tirées ces bribes verbeuses, et non, comme on pourrait le croire en première approche, du Tao Tö King ou des statuts de l'église de scientologie.
 
C'est donc au nom de ces valeurs magnifiques que tout le monde s'ingénie désormais à chercher des coupables. Des fautifs que l’on pourrait accabler tant et plus, en leur attribuant les dysfonctionnements d'une construction dont les inlassables promoteurs se refusent toujours à voir les malfoutoses originelles, tant sur plan institutionnel que du point de vue de la rationalité économique.

Oui : des coupables. C'est ce qu'il faut désormais pour continuer à faire tenir ensemble cet édifice fait de « liberté », de « respect », de « démocratie », de solidarité et d'amitié entre les peuples. Et les Grecs semblent les mieux placés pour endosser le rôle. Pensez-donc : ils refusent de voter comme on leur ordonne de le faire. Pis, ils soutiennent massivement l'action du gouvernement qu’ils ont porté au pouvoir. Quelle abomination !

Or pour montrer que la Grèce est coupable, quoi de plus probant qu'une poignée de chiffres. « Chez ces gens-là, on ne parle pas, on compte », disait en effet Jacques Brel dans une chanson prophétique où il dressait avec 40 ans d'avance le portrait-robot de l'adorateur de la monnaie unique et du traité de Lisbonne.

Les chiffres que nous servent les européistes sont ceux de la dette hellène, étourdissants, effrayants : 320 milliards d'euros, 175 % du produit intérieur brut. Bref, l’horreur ! Mais il y a pire. Il y a l'argent que la Grèce doit à la France. Ces 40 milliards que notre beau pays a prêtés dans un pur élan de générosité fraternelle et que ces saligauds de bouffeurs d'olives pourraient bien ne jamais rembourser. Rendez-vous compte : cela représenterait plus de 700 € par personne ! Ce sont nos enfants que l'on affame ! C'est la Patrie qu'on assassine !

Le problème avec cet argument - outre qu'il pèse son pesant d'un  « égoïsme national » auquel les europtimistes ne nous avaient guère habitués - c'est que d'une part il est faux (oui, à force, ça finit par être embêtant) et que d'autre part, il peut être aisément retourné. La Grèce pourrait finir par nous coûter ? Et si, jusque-là, elle nous avait plutôt rapporté ?
 
Daniel Cohn-Bendit, auquel on ne peut guère intenter de procès en euroscepticisme s'insurgeait dès 2010 qu'on prétende « aider » Athènes en lui prêtant de l'argent au prix fort. Ciblant tout particulièrement Berlin, il affirmait ici :« la situation présente est extravagante. L'Allemagne emprunte à un taux de 1,5% pour prêter l'argent à la Grèce avec un taux de 5%. Nous sommes dans une complète confusion ». Et oui, forcément : quand on prête à des taux trois fois supérieurs à ceux auxquels on emprunte, on s'enrichit....

Or ce qui vaut pour l'Allemagne vaut aussi pour la France. Ainsi l’économiste Thomas Piketty affirmait-il récemment : « il faut baisser les taux d'intérêt de la dette grecque à 1% ou 0%. Ces dernières années, on a fait de l'argent avec la dette grecque: on a emprunté à 1% pour leur prêter à 4 ou 5%. On a gagné de l'argent ». Autrement dit, le même raisonnement que Conh-Bendit.
 
Le plus dur reste de savoir combien on a gagné ou, pour le dire autrement…. combien la France a coûté à la Grèce. « Pour la France, Bercy préfère donner un chiffre global » nous dit-on dans cet intéressant panorama. « Depuis 2010, sur quatre ans, les prêts à la Grèce lui ont rapporté 729 millions d’euros, qui sont rentrés comme des recettes dans le budget de l’Etat. C’est peu ou prou le montant prévu au budget français en 2015 pour le ministère de la Culture ». De cette somme, il faut évidemment déduire les intérêts que la France paie au titre de l’argent qu’elle-même emprunte avant de le prêter à Athènes. Mais à l’heure actuelle, notre pays emprunte fort bas et parfois même, pour les emprunts les plus courts… à des taux négatifs (voir tous les taux ici). Une incongruité que l’on doit une fois de plus à cette aberration économique qu’est l’eurozone, et qui a transformé la dette française une valeur refuge. Chose dont nous continuerons à bénéficier… jusqu’à ce que tout s’effondre.
 
Alors, on peut toujours continuer à montrer du doigt les dispendieux et les inorthodoxes, qu’ils soient Grecs aujourd’hui, Portugais ou Espagnols demain. Mais ceux qui jouent à ce jeu sinistre, qui s’appliquent à monter les peuples européens les uns contre les autres, qui tiennent absolument à déterminer ce que nous coûtent les autres, qui se comportent en petits vieux aigres et radins apeurés à l’idée de ne pas rentrer dans leurs sous, risquent fort, très bientôt, de voir leur propre mesquinerie se retourner contre eux.
 
En attendant, il n’est pas sûr que « la liberté », « le respect », « la solidarité », bref, que « nos valeurs » dont nous sommes fiers au point de les porter en permanence en bandoulière, en sortent grandies.
 
 
 
Informations complémentaires :
 
Crashdebug.fr : Grèce : un jeu complexe
 
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