« Penser l’Europe en dehors de l’Euro » par Charles Gave et Jacques Sapir

Plus le temps passe et plus les choses deviennent limpides... Si je puis me permettre, je vous conseille de lire ce compte rendu de conférence, vous aurez ainsi les idées plus claires sur les possibilités que nous avons de nous en sortir, et dans quelles conditions.

Amicalement,

f.

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Sous le patronage de ASSAS PATRIOTE, Paris II, Amphi 3, jeudi 12 novembre 2015, 19 heures :

 Introduction de Guillaume Mahistre. Charles Gave se présente. Puis aborde le sujet :

Charles Gave (CG) :« Quand on parle de l’Europe, il faut la définir, il existe deux conceptions de l’Europe.

  • Celle d’Adenauer, de Gasperi, Robert Schuman, c’était l’Europe chrétienne de 1250, où toutes les expériences avaient cours : villes état, états nations, ligue hanséatique, Saint Empire Romain Germanique … La diversité des peuples et des expériences en faisait la richesse. Pour ceux qui souhaiteraient approfondir voir : Hughes Trevor Roper « The rise of Christian Europe ».
  • Et la conception de Jean Monet  qui espérait le retour à l’Empire Romain et ne croyait pas en la Démocratie. Pour cela, il fallait d’abord bâtir un Etat, et cela a commencé par la création d’une monnaie commune, l’Euro. Cette Europe devait être celle de la technocratie triomphante.
  • Après la réunification allemande, l’option choisie fut celle  de la technocratie, sans que les Peuples aient été consultés. Le contrat offert aux Allemands fut, « on accepte la réunification, vous acceptez l’Euro ». En sortant des négociations François Mitterrand, content de lui,  a dit « nous avons cloué la main de l’Allemagne sur la table de l’Euro ». Vraiment ?

Ce qui nous amène à la question de la monnaie, puisque j’évoque l’euro.

Pourquoi une monnaie a-t-elle de la valeur ? Question très difficile puisque la monnaie ne coûte rien à produire. Pour comprendre, plusieurs grands esprits ont réfléchi et, pour laisser à part les économistes, je citerais :

–          Aristote, qui observait que la monnaie devait avoir une valeur car elle coûtait du temps et du travail à extraire. En cela, Aristote reliait donc la monnaie à une valeur travail. Or, l’histoire et l’économie autrichienne nous ont appris qu’Aristote a eu tort sur ce coup-là.

–           Platon. Pour lui, la monnaie était une convention sociale, et il avait raison (acquiescement de Jacques Sapir).

–          Le Christ. On évoque peu le Christ dans le domaine économique et c’est un tort. Quand Jésus dit en regardant la pièce : « Tu rendras à César ce qui est à César », il explique que pour lui, la monnaie et l’Etat sont les deux faces de la même pièce.

A ce point du raisonnement, je voudrais ici parler d’une notion que certains libéraux me disent qu’elle n’est pas libérale, et qui est qu’une monnaie est un bien commun, à la manière d’un jardin public (acquiescement de JS). Ce bien commun n’appartient  ni à l’Etat ni au secteur privé, c’est un bien indépendant qui doit appartenir à tous, un peu comme la Justice. La sage décision serait donc d’en confier la gestion à un organisme indépendant et du secteur public et du secteur privé, une sorte de cour suprême de sages, responsables sur leurs propres patrimoines (comme la Bundesbank d’antan), et de laisser la libre concurrence des monnaies des différents pays s’installer entre elles, ce qui serait conforme au modèle de l’Europe chrétienne.

Au lieu de cela, nous avons des taux de change fixes, un signe de la volonté du retour vers Rome. Comprenez-moi bien. Dans l’absolu, je n’ai aucun problème à ce que la France décide d’avoir 50 % de fonctionnaires en plus que l’Allemagne. Je n’ai aucun problème non plus à ce que la France ait un taux de change fixe avec l’Allemagne. Mais elle ne peut pas avoir les deux à la fois, puisque les coûts français sont supérieurs aux coûts allemands... De même pour l’Italie. Historiquement, l’Italie du Nord a payé pour l’Italie du Sud. Et quand la charge devenait trop lourde pour que l’Italie du Nord reste compétitive vis-à-vis de ses concurrents, la Lire dévaluait pour redonner de l’air. Cela fonctionna jusqu’à l’arrivée de l’Euro et depuis l’économie italienne s’enfonce inexorablement.

Et donc le taux de change est le prix de marché au travers duquel s’arbitrent les différents contrats sociaux qui permettent à une Nation de conforter leur volonté de vivre ensemble (Renan). Si on manipule le taux de change, on attaque ce contrat social et donc la Nation.  Et la Nation est le seul endroit où la liberté individuelle peut s’exercer disait Jean-Paul II. Ainsi toute atteinte à la Nation et à sa souverainetés est une atteinte à nos libertés individuelles.

Jacques Sapir « Une monnaie implique et permet des transferts sociaux à grande échelle à l’intérieur de la Nation »

Pour fonctionner l’Europe de l’euro a besoin de transferts massifs. Et donc pourquoi ne pas les faire ? Pourquoi pas des Etats-Unis d’Europe ? Mais une monnaie commune a des conséquences politiques  immenses :

1/ La monnaie et la souveraineté.

Perdre sa monnaie pour un pays, c’est perdre sa Souveraineté, comme l’exemple de la Grèce l’a bien montré

2/ La monnaie le pacte budgétaire.

Si des conditions budgétaires sont mises à l’émission de monnaie, cela veut dire que quelque part cela ne sert plus à rien de voter

3/ La monnaie et la redistribution.

Toute tentative de redistribution peut être empêchée par un pacte budgétaire contraignant. Et pourtant cela a fonctionné aux USA entre 1928 et 1939 aux USA, il y a eu une inversion de 1/3 des dépenses des états locaux pour 2/3 des dépenses fédérales. Mais ceci implique que l’on se pose trois questions.  Aux USA, il y a de grosses divergences de niveaux de vie entre les états, mais ils sont compensés par des transferts budgétaires. Pourquoi pas la même chose en Europe ?

C’est l’idée d’Emmanuel Macron qui explique qu’il faudrait faire pareil  en Europe, mais les masses sont telles que cela serait impossible. Par exemple, nous avons calculé qu’il faudrait entre 300 à 350 MD d’Euros net de transferts du Nord vers le Sud de l’Europe, et 90% des transferts seraient à la charge de l’Allemagne, soit 10 % du PIB allemand. Cela représenterait 4 fois les montants des réparations que les Alliés avaient imposé à l’Allemagne après la Première Guerre mondiale …

D’autre part, les pactes sociaux et les situations économiques sont très différents. L’euro  vis-à-vis du dollar est sous-évalué pour l’Allemagne. Mais il est sur-évalué pour l’Italie, la France, le Portugal. Ceci veut dire en pratique que pour vivre en commun, il faudrait soit augmenter le taux de change fixe soit demander aux Allemands de faire un effort absolument gigantesque, ce qui n’est pas envisageable. L'euro menace donc directement la paix en Europe en faisant renaître les antagonismes d’antan et tout le monde sait que de tels transferts seraient à la fois impossibles et immoraux si l’Allemagne ne veut pas ou ne peut pas payer, que va-t-il se passer ?

La réponse est simple, l’Euro disparaîtra. La France vivrait une dévaluation de 15 %, l’Allemagne une réévaluation de 25 %, ce qui n’aurait aucun impact sur les multinationales françaises, aucun impact sur les banques, et un impact négatif d’environ 10 milliards d’euro sur les compagnies d’assurances du pays. Voilà qui serait très inférieur à l’ardoise que Dexia a laissé.

 Questions du public : 1/Que dire aux personnes qui ont peur pour leurs retraites ?

CG :

  • Dans une société, il y a les entrepreneurs et les rentiers. Une dévaluation transférerait de l’argent du rentier français (le fonctionnaire), aux entrepreneurs.  Dans l’état actuel, personne ne veut prendre la décision courageuse de redonner le pouvoir de manœuvre aux entrepreneurs, en baissant leurs impôts par exemple. Cette hausse de leur rentabilité permettrait aux entrepreneurs de recommencer à embaucher et à investir, ce qui serait une très bonne nouvelle.
  • Il est à craindre que plutôt que de choisir une disparition « organisée » de l’euro nous n’ayons une crise où les marchés financiers fassent sauter le système, et cela risque malheureusement d’occasionner certains heurts.
  • La réalité est que depuis la fin des années 90, une classe technocratique a pris le pouvoir, et donc  nous ne sommes plus en démocratie. En Grèce, le peuple a voté pour la sortie de l’euro, les technocrates ont refusé.

2/Question sur la Grèce et l’Euro

JS :

  • Il faut remettre la démocratie grecque, fragile, dans son contexte historique. La Grèce reste meurtrie par le souvenir de 1974 (dictature des colonels) et de la quasi guerre perdue contre la Turquie. La démocratie est encore une chose fragile là-bas. Toutefois, il est pour moi certain que  le plan de stabilisation de la Grèce ne peut pas fonctionner et que vous verrez dans vos journaux d’ici deux semaines, un mois, peut-être plus, ressurgir inévitablement la question grecque, à moins que le coup ne parte du Portugal ou de l’Italie.
  • Sur les retraites en général, le problème n’est pas le vieillissement, mais l’absence de croissance. Un retour de la monnaie française à une parité normale, en relançant la croissance permettrait de créer de 1,5 à 2 millions de nouveaux emplois, et donc de faire disparaître et les déficits sociaux, et les déficits des caisses de retraite.

CG :

  • Un point à signaler est que l’Allemagne n’est pas dans une position aussi florissante que l’on veut bien nous le dire. L’Allemagne a eu 1000 Md d’Euros d’excédents courant envers le reste de l’Europe depuis 10 ans. Comme une balance des paiements s’additionne à zéro, cela veut dire qu’elle a mis en portefeuille 1000 milliards d’euro d’effets à recevoir émis par les autres Européens, qui seront bien incapables de lui rembourser. Si on estime leurs capacités de remboursements à 50 % de la dette encourue, la perte sèche de l’Allemagne serait de 500 MD d’euros. Les fonds propres des banques sont de 350 MD d’Euros. Ce qui veut dire que le système financier allemand serait mis en faillite.
  • L’euro est une stratégie défensive et comme je l’avais dit dans une conférence à Normal Sup il y a 4 ans, les lignes Maginot ne fonctionnent jamais. Une stratégie défensive amène toujours au désastre, n’en déplaise à monsieur Attali...
  • La seule façon de s’en sortir maintenant est de revenir à une concurrence des monnaies et de ne pas mettre la monnaie avant la volonté des peuples européens. Comme le disait Ernest Renan dans son superbe discours à la Sorbonne de 1882, une Nation est fondée sur une volonté des citoyens de vivre ensemble, de partager un passé commun et un avenir futur. Or, il n’existe pas à ce jour de volonté européenne de vivre ensemble. Le prétendre est une négation de nos droits individuels.

JS :

  • En cas de disparition de l’euro, nous pourrions revenir à un systeme similaire à l’UEP. L’UEP (l’Union Européenne des Paiements) a été mise en place avant le traité de Rome et il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions-nous en prévaloir à nouveau.
  • Je pense que la sortie de l’Euro est une condition nécessaire au retour de la croissance, mais pas une condition suffisante. Cela ne résoudra pas tous nos problèmes, et nous devrons pour un temps adapter certains de nos modes de consommation trop tournés actuellement vers la consommation extérieure.
  • J’entends parfois dire « mais nous ne pourrons plus partir à l’étranger », il faut savoir que pour la majorité des ménages français, 70 % de leurs revenus est consacré à l’achat de biens et services produits en France. Seul 50% de la population part en vacances. Sur ces 50%, 20% partent à l’étranger, soit 10% de la population  totale, et une grosse partie de ceux-là vont dans des pays qui dévalueront autant que la France, sinon plus (Maroc, Tunisie, Espagne, Portugal, etc.).

CG : Effectivement, les temps seront durs pour les Français qui prennent leurs vacances en Allemagne…

 3/ Que pensez-vous du risque de la dette ? 

CG :

  • Je vais vous dire, dans une économie saine, ce qui compte, c’est le taux d’intérêt, par rapport au taux de croissance. Si le taux de croissance est supérieur aux taux d’intérêts, il ne peut pas y avoir de problème de la dette. S’il est inférieur, la faillite est inéluctable. Il ne peut y avoir de croissance sans retour à des prix de marché pour les taux de change, c’est-à-dire sans une disparition de l’euro. Le choix est donc entre l’euro et la faillite.

JS :

Si l’Italie sort de l’Euro, le reste des pays européens suivra. C’est une erreur de penser qu’il faudrait une unanimité de vote pour une sortie, car comme dans toutes les décisions, il y a la loi, et puis la pratique. En pratique, quand cela arrivera, il y aura un quart d’heure de furie avec des « vous n’y pensez pas «  suivi de « bon, et bien comment on fait, et combien cela va nous coûter «  c’est tout ».

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Source(s) : Institutdeslibertes.org via Le Blog à Lupus

 

Informations complémentaires :
 
Crashdebug.fr : Vers la guerre civile ?
 
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